Parole d’entrepreneur
mai 2022
Thanh My Duong Fondateur et CEO de MyDral et de LimTree
www.limtree.com / www.mydral.com
My est né au Vietnam. Son père est mécanicien aéronautique pour la PanAm.
My a 6 ans lorsqu’il embarque le 24 avril 1975 sur le dernier vol assuré par la compagnie pour évacuer les employés et leurs familles avant la chute de Saïgon
(le récit et le film réalisé en 1990).
Un aller simple vers l’inconnu pour My, ses trois soeurs et ses parents. D’abord vers les États-Unis, puis vers la France. My ne parle pas un mot de français mais il apprend vite. Il s’intègre rapidement dans le système éducatif.
Comme le souligne My, l’éducation à la vietnamienne repose au premier chef sur le respect des ainés et tout de suite après sur le travail : « …tu seras médecin, avocat, ingénieur, ou…raté ! ».
My fait partie des « ratés ». Après un parcours secondaire passable, il se révèle une passion soudaine pour les maths, et pour l’informatique. Il apprend le latin-grec de la programmation : le LisP et le Fortran.
Il doit suspendre ses études pour faire son service en Allemagne comme informaticien à la chaîne TV de la caserne des forces françaises de l’OTAN. De la chute de Saïgon à la chute du mur, My vit une nouvelle tranche d’histoire dans un Berlin nouvellement réunit et en pleine effervescence. À son retour il finit sa maîtrise en informatique en cumulant deux jobs en parallèle.
Lors d’une journée portes ouvertes entreprises, IBM le recrute. Il découvre la joie d’être payé pour faire ce qu’il aime. Il part ensuite chez Coda Financials un éditeur britannique de logiciel comptable qui le fait voyager. My a 26 ans quand on lui propose de faire partie du MBO sur l’activité française. Sa participation au comité de direction lui permet de muscler ses connaissances sur la stratégie, la gestion et le marketing.
Alors qu’Internet commence à se développer partout il part et passe une première fois par la case startup dans le e-learning en rejoignant des associés. Puis il décide de lancer sa propre entreprise, en empruntant 25 000 euros à sa mère. Il réactive son réseau d’anciens de chez Coda à qui il propose ses services en freelance. Il embauche prudemment, au fur et à mesure pour faire face à l’activité qui grossit. Son entreprise se transforme en société de conseil informatique. Coup dur. Ce jeune professionnel que My fait monter à ses côtés en lui donnant 50% des parts tente de prendre le pouvoir. My n’a d’autre alternative que de liquider la société. Nouvelle leçon. Cette fois, My lance LimTree, seul aux commandes.
On est en 2006 et son concept d’analyse et de valorisation du patrimoine de données business est alors très novateur. Si le démarrage est difficile l’entreprise est positionnée sur un concept dont on connaît aujourd’hui la valeur. C’est un succès. LimTree et son spin off Mydral sont aujourd’hui le numéro 1 français du secteur de
la « dataviz ».
L’entreprise compte une centaine de personnes expertes en analytics, en big data et en intelligence artificielle. Son CA dépasse les 10 millions d’euros. L’entreprise basée à Paris a ouvert un bureau à Londres et en ouvre bientôt un autre à Bangkok.
1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?
Je pense que c’est lié à mon éducation. Mon père était extrêmement strict. Il fallait respecter les ainés et la hiérarchie. Je pense que, par réaction, j’ai développé un vrai besoin de liberté, une aversion du statu quo, de l’ordre établi, et l’envie de faire les choses moi-même.
Cette indépendance que j’ai développée m’a poussé à tracer mon propre sillon. En même temps on n’est jamais vraiment le maître de son destin. Un chef d’entreprise a des patrons : ses clients, ses marchés, ses employés… Mais en tant que leader il conduit son bateau.
2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?
Le chef d’entreprise est un moteur important, l’étincelle qui allume le feu. Mais ce feu doit être entretenu.
Entreprendre c’est avant tout prendre des initiatives. Une initiative peut se concrétiser dans la production de quelque chose : un objet, un concept, une méthode.
Entreprendre c’est réunir des compétences, des personnes, des moyens dans le but de réaliser quelque chose.
L’intrapreneuriat est une forme d’entrepreneuriat. Plus accessible pour ceux qui ont besoin d’un cadre pour entreprendre, par opposition à l’entrepreneur qui part de zéro. Le matriarcat est une forme d’entrepreneuriat. Gérer une famille, l’éducation et le développement des enfants, c’est une création. Une mère de famille prend des initiatives en
permanence. Elle entreprend.
Il est vrai que tout le monde n’a pas la fibre entrepreneuriale. Certains ont besoin de suivre le sillon tracé par l’entrepreneur. Ils ont besoin de motivation externe, besoin d’être poussé. Le chef d’entreprise se différencie surtout par le fait d’assumer la responsabilité du risque. Le risque pour les autres d’abord. Le bien être des gens dépend des décisions qu’il prend.
S’il se trompe il peut mettre au tapis des gens qui ont eux-mêmes des engagements qu’ils ne pourraient plus honorer.
Le risque financier pour lui ensuite. D’ailleurs, je me suis souvent senti un peu « lonely at the top » pour cette raison. Le stress permanent de l’échec financier m’a toujours habité.
3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?
La première valeur c’est de se réaliser tous les jours. Dans toutes choses. Entreprendre occupe les deux tiers de la vie de l’entrepreneur. Si on y va à reculons, autant faire autre chose. Créer de la valeur c’est donc créer un environnement suffisamment stimulant d’un point de vue intellectuel pour ne jamais s’ennuyer. Il faut que ce soit fun. Il faut avoir envie d’y aller.
Du point de vue du groupe qui m’accompagne, la création de valeur c’est réunir une équipe et la pousser à donner le meilleur d’elle-même. S’élever les uns et les autres.
Faire en sorte que les gens grandissent, se transforment, récoltent aussi le fruit de leur engagement dans l’entreprise et en profitent, et qu’ils aident à leur tour d’autres à grandir, est une création de valeur.
Leur réussite rejaillit sur moi en tant qu’entrepreneur. La valeur financière n’est finalement qu’un indicateur de réussite de l’entreprise. L’argent n’est pas ma motivation. Au-delà de la couverture des besoins courants, par exemple assurer un toit à mes enfants et veiller à ce qu’ils ne manquent de rien, mes besoins matériels sont finalement très limités. Je roule en clio et je porte une montre à 30 euros.
4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?
Réduire la pression fiscale et sociale qui pèse sur les petites entreprises.
Cette pression en France a un côté un peu confiscatoire. Elle met en péril la stabilité des entreprises nouvellement crées et les empêche de se développer par manque de ressources pour financer de nouvelles initiatives. Des exonérations et des facilités financières spécifiques permettrait certainement d’aider les petits entrepreneurs à aller plus loin.
Libérer le cadre du travail bien trop complexe. Une complexité qui ne sert à personne et qui ralentit la machine.
Revoir la place de l’entreprise dans le système éducatif français. L’alternance devrait être généralisée beaucoup plus tôt dans les cursus, pour provoquer la rencontre des jeunes avec le monde de l’entreprise plus rapidement et susciter des vocations.