Analyse économique
avril 2023
Que s’est-il passé dans le secteur bancaire américain ?
La faillite de la Silicon Valley Bank le 10 mars dernier a ravivé les inquiétudes sur le secteur bancaire. Une autre banque spécialisée dans les services financiers aux Cryptomonnaies, Silvergate, avait annoncé sa liquidation deux jours plus tôt et Signature Bank a fait faillite le 12 mars. Quelques jours plus tard, au terme d’un week-end de négociation, Crédit Suisse a été racheté in extremis par UBS pour éviter la faillite. Une semaine plus tard, Deutsche Bank était au cœur de toutes les inquiétudes avant qu’il ne s’avère que le coût de la protection contre un défaut de la banque avait été brutalement augmenté par une opération portant sur 5 millions d’euros seulement mais dans un marché très peu liquide. Les observateurs des marchés financiers en viennent à se poser la question d’un retour de la crise de 2007-2009 qui avait culminé après la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Qu’en est-il ?
Il faut tout d’abord rappeler que le système bancaire américain est très morcelé avec près de
4 236 établissements bancaires. De plus, alors qu’en Europe, toutes les banques sont soumises à la même supervision et aux mêmes contraintes, ce n’est pas le cas aux États-Unis, où il existe cinq niveaux de supervision en fonction de la taille des banques. Avec moins de 250 Mds USD d’actifs, Silicon Valley Bank et Signature faisaient donc parti de ces banques moins surveillées. Toutefois il semblerait que le régulateur ait soulevé un certain nombre de problèmes sur les dernières années dans la gestion de Silicon Valley Bank. Contrairement à la pratique classique des banques, le portefeuille d’obligations d’État de SVB n’était pas couvert contre le risque de remontée des taux, or ceux-ci ont fortement remonté l’année dernière. La banque avait donc des moins-values latentes importantes sur ce portefeuille. À l’inverse de pertes liés à un crédit ou une obligation faisant défaut, ces moins-values auraient été effacées dans le temps par la convergence au pair des obligations. Si ces obligations achetées il y a un an pour 100 en sont venues à coter 80 du fait de la hausse des taux, elles seront remboursées 100 à leur échéance. Ces titres sont d’ailleurs généralement portés jusqu’à maturité par les banques.
Toutefois, c’est finalement un scénario digne de ces classiques du cinéma que sont Mary Poppins et La Vie Est Belle (celui de Franck Capra) qui s’est déroulé, celui du « bank run ». Celui-ci se produit lorsque les déposants, craignant de ne pas récupérer leurs avoirs, demandent massivement et simultanément à récupérer leur argent déposé à la banque. L’établissement se retrouve alors obligé de devoir puiser dans ses actifs les plus liquides pour assurer ces retraits. À l’époque des réseaux sociaux, la rumeur des difficultés de ces banques s’est répandue très rapidement, et comme nous sommes aussi à l’époque des outils digitaux, nul besoin de se précipiter à son agence pour retirer son argent. Il suffisait d’une appli pour faire un virement. En l’espace de quelques heures, SVB se retrouvait confronté à plusieurs dizaines de milliards de dollars de demandes de retrait.
C’est l’occasion de rappeler la nature économique particulière des banques. De manière schématique, leur passif est constitué de capitaux propres, d’obligations et de dépôts bancaires. A l’actif, on retrouve des réserves auprès de la banque centrale, des actifs financiers et des prêts. Si l’on prend les banques américaines, 85% de leur passif est composé de dépôts, un peu plus de 50% de leur actif est composé de prêts. Les États garantissent les dépôts jusqu’à un certain montant, c’est-à-dire qu’en cas de faillite de la banque, tout compte en dessous du seuil de garantie est intégralement remboursé au déposant. Tout un ensemble de règles et de ratios contraignent les banques en termes d’actifs qu’elles peuvent détenir et la structure de leur passif afin de limiter leur risque de liquidité, c’est-à-dire qu’elles aient toujours assez d’actifs liquides pour honorer les demandes de retraits. Et couvrir leur risque de solvabilité, c’est-à-dire que les éventuels défauts sur les prêts ou pertes sur actifs puissent être absorbés par les établissements sans remettre en question leur solidité financière.
Les banques mobilisent donc des ressources à court terme, principalement des dépôts, pour assurer le financement de l’économie à long terme, jouant ainsi un rôle important dans le développement économique. C’est pourquoi les crises bancaires ont souvent un impact très négatif sur l’activité d’un pays.
Une caractéristique de ces banques qui ont fait faillite est d’avoir eu des dépôts très concentrés et supérieurs au seuil de garantie des dépôts. Dans le cas de SVB, 94% des dépôts n’étaient pas couverts par la garantie, contre 43% en moyenne aux États-Unis. En effet, cette banque servait une clientèle de jeunes entreprises et de clients fortunés. Alors que la garantie des dépôts joue un rôle important pour stabiliser le système bancaire, elle n’a que peu d’effet pour une banque ayant autant de dépôts non assurés. Normalement les banques disposent d’assez d’actifs liquides pour assurer des retraits importants mais dans le cas de SVB, ces retraits étaient tels qu’elle aurait dû céder tout ou partie de son portefeuille d’obligations d’Etat, rendant effectives ses moins-values latentes, poussant la banque à la faillite. Le régulateur a choisi d’éviter le risque systémique en garantissant l’intégralité de ces dépôts, y compris ceux dépassant le seuil de 250 000 USD.
Ces événements rappellent que les banques restent des animaux financiers fragiles, empruntant court pour prêter long. Cet équilibre précaire repose sur ce qui reste le principal actif des institutions financières, à savoir la confiance, le terme même de crédit venant du latin credere, faire confiance. Pour autant, le système bancaire actuel n’est plus celui de 2007 et les institutions financières des deux côtés de l’Atlantique ont levé beaucoup de fonds propres et sont maintenant soumises à des contraintes plus strictes afin de maintenir cette confiance.