Analyse économique
janvier 2017
Les vitres cassées et la comptabilité nationale
Dans son essai ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, Frédéric Bastiat expose plusieurs sophismes économiques dont celui de la vitre cassée. Pour résumer, le garnement de fils de Jacques Bonhomme a cassé un carreau de vitre. Colère du père mais les passants, philosophes, disent « À quelque chose malheur est bon. De tels accidents font aller l’industrie. Il faut que tout le monde vive. Que deviendraient les vitriers, si l’on ne cassait jamais de vitres ? ». Frédéric Bastiat part de cette histoire pour dénoncer une vision un peu courte qui se focalise sur l’activité courante mais néglige l’appauvrissement que représente la destruction de la vitre et le coût d’opportunité que représente l’argent dépensé dans la réparation qui aurait pu être dépensé pour acheter des chaussures ou un livre.
Nous commettons la même erreur lorsque nous ne regardons que le PIB comme indicateur du bien-être économique. Le Produit Intérieur Brut est un indicateur de la production d’un territoire durant une période donnée. Dans l’exemple ci-dessus, il va enregistrer l’activité liée à la réparation de la vitre. En revanche, il ne va pas tenir compte du fait que la situation de Jacques Bonhomme ne s’est pas améliorée : au lieu d’avoir une paire de chaussure en plus, il a le même nombre de carreaux de vitres et si le vitrier s’est enrichi, c’est aux dépens du cordonnier qui n’a pas réalisé sa vente. Pour tenir compte de cela, il faut donc regarder un autre volet de la comptabilité nationale, beaucoup moins médiatique que le PIB : les comptes de patrimoine.
Ces comptes mesurent tout simplement les actifs et les passifs des différents agents économiques (Ménages, sociétés financières ou non financières et administrations publiques). Ces actifs peuvent être financiers ou non financiers. Pour ces derniers, il peut s’agir d’actifs matériels comme les terrains, les constructions, ou immatériels comme des brevets ou des droits d’auteurs. D’autre part, ils peuvent être acquis par un acte d’achat ou produit de manière interne. Dans un certain sens, là où le PIB est le compte de résultat d’une économie, les comptes de patrimoine en constituent le bilan.
Le lien entre le PIB et les comptes de patrimoines se fait par les comptes sectoriels des différents agents économiques avec toute une cascade de comptes allant de la production aux comptes d’utilisation des revenus en passant par les revenus primaires (salaires ou revenus de produits financiers par exemple pour les ménages) et secondaires (prestations sociales et transferts pour les ménages). In fine, les agents économiques vont épargner une partie de leur revenu qui va permettre l’acquisition d’actifs financiers ou non financiers. La valeur des actifs non financiers diminue chaque année du fait de l’usure et de l’obsolescence. Le mécanisme équivalent pour les entreprises étant l’amortissement mais en macroéconomie, on parle de consommation de capital fixe. Le passif des agents économiques va être impacté par le recours à l’endettement ou sa réduction.
L’INSEE vient de publier les comptes de patrimoine pour la fin d’année 2105 dont voici la synthèse.
Ces comptes sont publiés en valeurs de marché, c’est-à-dire que la variation du prix des actifs est prise en compte. Ces données appelleraient bien des commentaires mais il nous semble important de retenir les éléments suivants :
In fine, le patrimoine net de l’économie correspond peu ou prou aux actifs non financiers. En effet, un passif financier est toujours l’actif financier d’un autre agent économique. Par exemple, une partie non négligeable de la dette publique est détenue par les institutions financières. C’est une notion importante à avoir à l’esprit lorsqu’on réfléchit à la question de l’endettement. Cela explique notamment comment le Japon est arrivé à accumuler une dette de près de 200% de son PIB, grâce à l’épargne domestique de ses agents. La dette est effectivement une fragilité potentielle mais il faut prendre en compte qui la détient.
Par ailleurs, les écarts qui peuvent se créer entre le patrimoine net et le montant des actifs non financiers s’expliquent par les relations d’investissement avec le reste du monde. En effet, une partie des actifs nationaux peuvent être détenus par des étrangers et vice et versa. La situation de la France n’est pas trop déséquilibrée mais comme nous l’avions déjà noté dans une Décade précédente, le cas de l’Espagne au début des années 2000 est particulièrement parlant : derrière des chiffres de croissance et de déficit public tout à fait bons, se cachait en fait une forte augmentation de l’endettement vis-à-vis du reste du monde pour financer la bulle immobilière.
Enfin, l’évolution du patrimoine net de l’Etat sur les dernières années, en forte baisse, montre le côté délétère à long terme d’un déficit public dont la seule fonction est de financer les dépenses courantes, ce qui dégrade la situation nette de l’Etat.
Plus globalement, prendre en compte cette dimension patrimoniale de l’économie souligne l’importance de l’investissement dans l’amélioration de la prospérité et du bien-être d’une économie. Contrairement à ce qu’une analyse reposant sur le seul PIB peut laisser penser, toutes les activités économiques, consommation ou investissement, ne sont pas équivalentes.