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mai 2019
« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)
Les erreurs du Ministre de l’Économie
Après la très digne publication de « Paul » (Gallimard 2018), témoignage émouvant d’une amitié et d’une souffrance qui disparaissent dans la maladie et la mort, Bruno Le Maire brouille son image sérieuse en alternant maladroitement des moments de vérité et des erreurs grossières.
Lors des primaires en vues des présidentielles de 2017, Bruno Le Maire avait tout du bon élève, avec un programme complet qui a impressionné ses concurrents mais qui n’a pas empêché un échec cuisant. Si être bon élève ne paye pas, alors pourquoi ne pas faire le mauvais ?
C’est en tout cas ce qui ressort de son interview du 3 mai aux Echos, qui nous donne l’occasion de préciser deux vérités assez simples qui semblent pourtant lui échapper :
1 / « Nous ne toucherons pas à la TVA sur la restauration, car in fine, c’est une taxe sur les ménages » (sic !). Ah quelle découverte !
Créée en 1954 par le Directeur Général de Impôts de l’époque, Maurice Lauré (1917-2001), la TVA est un impôt liquidé et encaissé à chaque stade de la commercialisation d’un bien ou d’un service, l’entreprise déduisant de la taxe due la taxe précédemment perçue. Jusqu’au moment où le produit ou le service est définitivement consommé, c’est-à-dire qu’il ne subit plus de transformation préalable à une revente (un produit vendu d’occasion n’est pas soumis à la TVA). « In fine » c’est donc bien sûr le consommateur (les ménages) qui paie la TVA. Celle-ci est le passager non clandestin du processus de production jusqu’à la consommation, quand en effet, elle disparait bien souvent des étiquettes et tickets de caisse au moment où pourtant elle est payée ! Il s’agit donc bien d’un impôt sur la consommation qui a de nombreux mérites et qui a été instaurée dans de nombreux pays. On aimerait que la France soit aussi exemplaire et copiée sur d’autres sujets que la création d’impôts, mais on n’est pas champion du monde pour rien, c’est vrai !
La TVA a, entre autres mérites, le pouvoir d’être modulée quant à son taux (il y des contraintes européennes destinées à la convergence), de toucher également les biens produits en France et ceux produits à l’étranger et d’être juste car payée par tous.
Elle a comme inconvénient d’être « indolore » : rares sont les factures des produits ou services de consommation courante qui font apparaître une somme hors taxe et un total TTC. Le consentement à cet impôt est sans doute acquis partiellement par la dissimulation de celui-ci. Le taux normal est de 20% : si à chaque fois que les français achetaient 5 objets identiques, on leur en ajoutait un de plus une fois passée la caisse au titre de la restitution de la TVA, ils comprendraient plus vite que le Ministre que celle-ci est bien une taxe sur les ménages !
2 / « Le capitalisme doit changer. Il doit être durable (…) il doit mieux rémunérer les salariés, et il doit mieux concilier efficacité et justice (…) ».
On peut regretter de la part d’un normalien une tournure aussi convenue et creuse : le capitalisme qui doit être « durable » ; pour le moment, pour ce qui concerne la prospérité collective, il a plus duré que tout autre système. Mais ce n’est pas le point, car à l’instar de ce que dit notre constitution au sujet du droit de grève, le capitalisme s’exerce dans les « le cadre des lois qui le réglementent », en tout cas il le devrait, et celles-ci sont du ressort du pouvoir politique, car le capitalisme n’est qu’un phénomène économique, qui a ses lois certes (liberté d’entreprendre, de circuler, libre concurrence et respect du droit de propriété notamment), qui ne sont pas au-dessus de la Loi, mais que la Loi doit respecter (et aménager) sauf à le faire disparaître, et avec lui la prospérité qu’il a apportée à une population toujours plus nombreuse depuis deux siècles. S’agissant de la rémunération des salariés français, (qui doivent être « mieux rémunérés ») il faut rappeler la différence entre la valeur du travail du salarié payée par l’entreprise et ce qui lui reste « in fine ».
La valeur du travail pour l’entreprise est égale au coût qu’elle supporte pour en bénéficier. Ce coût – le salaire net majoré des charges sociales qu’elles soient « patronales » ou « salariales » – n’est qu’un habillage artificiel. Ainsi, assez grossièrement, si la valeur du travail d’un salarié du privé -son coût- est de 150, il n’en touchera que 80 : 50 auront été prélevés au titre des charges « patronales » et 20 au titre des charges « salariales ». Riche de ces 80, si le salarié est soumis à un taux d’impôt sur le revenu de 20% il ne lui restera que 64 à consommer. Avec un taux moyen de TVA que l’on peut évaluer à 15%, il ne sera maître en réalité que de 56, soit un tiers de la valeur de son travail. C’est dire que c’est l’Etat et les organismes sociaux (notre Etat « providence ») qui sont les mieux rémunérés par le travail du salarié. Bien sûr, celui-ci perçoit en contrepartie de multiples services (éducation, santé, sécurité etc.). Mais le ministre ne doit pas ignorer que le moyen le plus simple de mieux rémunérer le salarié est de réduire les prélèvements publics qu’il subit.
Pour ce qui est de la justice, elle n’est heureusement pas du ressort du capitalisme qui n’est qu’un mode de création de richesse collective mais certainement pas un modèle social ou moral ni un pouvoir politique.