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décembre 2021
« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)
Le gouvernement du « Bullshit »
Harry Frankfurt, philosophe américain a publié en 1986 un essai, « On Bullshit » devenu best-seller, mais malheureusement mal traduit en français : « De l’art de dire des conneries ». Professeur à Yale à l’époque, Frankfurt propose d’analyser les discours non pas à partir de leurs vérités ou de leurs mensonges, mais de l’indifférence qu’ils ont et suscitent à la réalité des choses. Celle-ci permet d’habiller la réalité dans un costume qui n’est pas celui de l’erreur ou de la tromperie, qui peuvent être réfutés par le raisonnement ou combattus par la preuve, mais dans une forme qui fait en réalité prendre les vessies pour les lanternes.
Un bel exemple dans le numéro du 4 décembre de The Economist, et ils sont nombreux quand on y regarde de près, est donné par le « Global Getaway, Portail Mondial » présenté en début de mois par la Présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen. Représentant 300 milliards d’euros d’investissements en infrastructures d’ici 2027 il est censé être la réponse européenne aux nouvelles « Routes de la soie » (Belt and Road Initiative selon les chinois) qui ambitionnent de développer les relations commerciales, physiques et politiques de la Chine en Asie mais aussi en Afrique ou au Moyen Orient. La réalité de ce plan européen ne semble être que l’habillage d’engagements existants, de garanties de prêts et de la faculté -sans doute illusoire- de mobiliser des projets et des financements privés pour cette initiative.
Le « bullshit » de Frankfurt qui semble bien s’appliquer ici est en fait le baratin qui est pratiqué par ceux qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas. Et la Commission Européenne, faite d’une technocratie peu démocratique, semble condamnée à pratiquer le baratin pour exister politiquement. Aux mains des lobbies, des corporatismes ou s’autosaisissant de sujets les plus variés comme le contrôle du vocabulaire (qui devrait exclure les termes « Noël », les prénoms Marie…) pour communiquer de façon plus « inclusive », la Commission n’est malheureusement pas la seule institution à agir et communiquer en « baratinant ». Chacun devrait utilement, lorsqu’il entend un discours économique officiel, se poser la question : est-ce vrai ? est-ce faux ? ou plus probablement, n’est-ce pas du baratin ?