Analyse économique
avril 2019
La Chine, triomphe du dirigisme ?
La croissance exceptionnelle de la Chine constitue un phénomène économique d’une ampleur remarquable et d’une rapidité exceptionnelle. Depuis 1980, le Produit Intérieur Brut du pays a été multiplié par 36 en volume. À l’époque, le PIB chinois représentait 11% du PIB des États-Unis. Aujourd’hui, exprimé en dollars courants, il en représente les deux tiers. Les données en parité de pouvoir d’achat, qui permettent de corriger en partie le fait qu’une coupe de cheveux équivalente coûte plus cher dans un endroit que dans l’autre, décrivent même un PIB chinois supérieur d’un tiers au PIB américain. Rapporté au nombre d’habitants, le PIB par tête de la Chine représentait 2% de celui des États-Unis. Aujourd’hui, il en représente 30%. Cette croissance s’est faite sans traverser une seule phase de récession, la croissance la plus faible étant atteinte en 1989-1990 autour de 4,0%.
Alors que la pire crise que les économies occidentales ont connue depuis celle des années trente semble condamner aux yeux de certains l’économie de marché, l’exemple chinois fait-il du dirigisme un modèle à suivre ? En réalité, une bonne partie du miracle chinois provient du développement d’un secteur privé très compétitif sur les quarante dernières années. En revanche, cette transformation s’est faite de manière très graduelle, à l’inverse de ce qui a été fait en Europe de l’Est. En 1998, les entreprises publiques représentaient encore 50% de la production, proportion réduite à 20% aujourd’hui. Cela s’explique notamment par une meilleure efficacité économique : dans les activités industrielles, le retour sur actifs des entreprises privées est en moyenne trois à quatre fois supérieur à celui des entreprises publiques depuis une dizaine d’années.
Graphique retour sur actifs des entreprises publiques et privées en Chine
Les évolutions du modèle de croissance chinois amènent pourtant des interrogations sur une éventuelle reprise en main de l’économie par la sphère publique. Si au début des années 2000, la croissance chinoise reposait beaucoup sur la production pour l’exportation suite à l’entrée du pays dans l’OMC en 2000, la réponse du gouvernement chinois à la crise de 2008-2009 a été de mettre en œuvre un énorme plan de relance reposant essentiellement sur l’investissement, celui-ci se faisant essentiellement à crédit. Les autorités chinoises ayant conscience que ce modèle est facteur de déséquilibre et non pérenne, elles ont donc décidé de ralentir la croissance du crédit et de rééquilibrer la croissance vers la consommation. Ceci passe par un ralentissement tendanciel de la croissance. Tout l’enjeu pour les autorités chinoises et de s’assurer que ce ralentissement prenne la forme d’un atterrissage en douceur, la stabilité étant le maitre mot des autorités chinoises. La conséquence en est une politique que l’on peut qualifier de stop and go, alternant les phases de soutien à l’activité comme en 2016-2017, de freinage, comme en 2018. La Chine semble d’ailleurs prendre depuis quelques mois des mesures de relance pour soutenir la croissance.
Cette relance passe souvent par un accroissement du crédit, or les entreprises publiques ont en général un accès privilégié au crédit, de par la garantie publique implicite dont elles bénéficient. Les entreprises publiques avaient largement bénéficié du plan de relance de 2009, elles semblent également bénéficier des efforts du gouvernement pour resserrer les conditions de crédit, l’accès au crédit devenant difficile surtout pour les entreprises privées. Par ailleurs, le gouvernement chinois semble exercer une pression croissante sur les entreprises privées pour qu’une cellule du Parti Communiste Chinois soit créée en leur sein.
Cette reprise en main par la sphère publique intervient alors que la Chine entre dans une phase plus complexe de son développement : le PIB par tête de 10 000 USD correspond au seuil de ce que l’on appelle le « middle-income trap ». À ce niveau, de nombreux pays se sont retrouvés encalminés, la partie « facile » du développement économique, reposant sur l’industrialisation et l’urbanisation notamment, étant derrière eux. S’ajoute à cela l’impact du vieillissement de la population qui va rendre d’autant plus nécessaire un bon niveau de croissance de la productivité. La volonté affichée par Xi de renforcer le pouvoir du parti communiste dans l’économie chinoise permettra-t-elle de répondre à ces enjeux ? L’histoire économique, l’expérience même de la Chine incitent à la prudence.