Analyse économique
novembre 2021
Inflation et finances publiques
Alors que les chiffres d’inflation atteignent un peu partout dans le monde des niveaux inédits depuis plusieurs années, la question de l’impact de l’inflation sur les finances publiques est complexe au-delà de la seule « indemnité inflation », dont le coût total atteindra 3,8 Mds EUR soit 0,2% du PIB.
Au niveau des revenus de l’Etat, l’inflation joue positivement. En effet, à volume d’activité constant, l’inflation augmente la valeur nominale des bases d’imposition. L’effet est relativement direct pour les prélèvements indirects qui prélèvent un pourcentage donné des ventes de produits, comme la TVA ou les droits de mutation sur les ventes de biens immobiliers. Mais les prélèvements directs peuvent également tirer profit d’une hausse de l’inflation. Au niveau des ménages, si cette hausse des prix s’accompagne d’une hausse de leurs revenus, via la répercussion de la hausse des prix dans les négociations salariales ou autre, la progression des revenus imposables peut augmenter les recettes fiscales. Dans le schéma classique d’une imposition progressive, la hausse des revenus peut provoquer des franchissements de seuil qui amplifie l’effet positif sur les recettes fiscales. C’est pourquoi, traditionnellement les seuils d’imposition sont ajustés chaque année sur la base des prévisions d’inflation. Mais lorsque l’inflation dépasse les prévisions, c’est un gain pour les recettes budgétaires. Ainsi le dernier projet de loi de finance prévoit que les seuils pour le calcul de l’impôt 2022 sur les revenus 2021 est relevé de 1,4% après une hausse de 0,2% l’année passée.
Au niveau des dépenses, la situation est un peu plus compliquée. En tant que consommateur de biens et services, l’Etat peut se retrouver à payer davantage pour se fournir. En tant qu’employeur, tout dépend évidemment des négociations salariales. On a pu constater par le passé combien le gel du point d’indice pouvait être un levier important de maîtrise de la dépense publique. Enfin, en tant que payeur de prestations sociales, l’impact est aussi dépendant de plusieurs facteurs. Le coût de la santé évoluera-t-il en ligne avec l’inflation ? L’indexation des prestations sur l’inflation est parfois définie dans le dur et donc automatique, mais elle peut aussi faire l’objet de négociations. Il en découle que l’impact de l’inflation sur le niveau des dépenses dépend de la volonté politique.
Enfin, l’inflation va également avoir un impact sur le coût de financement. L’inflation peut tirer à la hausse les taux d’intérêts et donc le coût auquel le Trésor va se refinancer. La maturité de la dette française dépasse aujourd’hui les huit ans donc cet effet ne se fait sentir que progressivement, sauf pour une partie de la dette qui est indexée sur les prix. Aujourd’hui un peu plus de 10% du stock de dette émise par la France rentre dans cette catégorie. Pour ces titres, la valeur des obligations est ajustée chaque année de l’évolution de l’indice des prix de référence. L’inflation augmente donc la valeur de ces titres à rembourser et à la charge d’intérêt liée.
Des effets haussiers sur les recettes budgétaires et les effets sur les dépenses, lesquels vont dominer ? Avec la baisse tendancielle de l’inflation, le sujet a moins intéressé les économistes et a semblé secondaire par rapport aux effets du cycle économique. Si les administrations décident d’absorber tout ou partie de l’augmentation des prix (chèques énergie, indemnité inflation…), la hausse de l’inflation pourrait au final aggraver le déficit budgétaire et même alimenter la spirale inflationniste, en soutenant encore davantage la demande.
En dernière analyse, l’inflation représente une taxe. Elle appauvrit les ménages détenteurs d’épargne. En effet, si les ménages détiennent des liquidités non ou mal rémunérées, leur valeur réelle est rognée par l’inflation. Cette perte de valeur pour les ménages correspond in fine au gain de seigneuriage de l’Etat. En effet l’état émet chaque année de la monnaie, dont la valeur est très supérieure au coût de production, ce qui lui apporte un revenu. Mesurés directement, dans nos économies modernes, ces revenus sont toutefois assez limités, le résultat avant impôts de la banque de France représentant un peu plus de 0,2 point de PIB. En revanche, le maintien des taux très en dessous de l’inflation représente un transfert invisible de ressource des ménages naturellement épargnants vers les administrations publiques. Invisible car il ne se mesure que par rapport à un scénario où les taux compenseraient au moins de l’inflation, il n’en constitue pas moins un appauvrissement des épargnants. Toutefois, cet effet est en partie compensé par l’appréciation des actifs financiers dans un contexte de taux bas.