Parole d’entrepreneur

avril 2023

Éric Lemoine – Fondateur de House of Co-Design

www.houseofcodesign.com

Libre de changer les choses

Éric Lemoine est né dans les Alpes entre Thonon et Morzine. Dans ces montagnes qui forgent le caractère. Des montagnes qui cloisonnent aussi. Et Éric n’aime pas être enfermé. Il les quitte pour des études de concepteur rédacteur de publicité à Lyon, puis une école de marketing à Grenoble. Son père fait partie de la première génération des Directeurs de Services Informatiques et sa mère est fleuriste. Ils l’ont toujours laissé faire ses propres choix. S’il n’y a pas vraiment de rôle modèle entrepreneur dans son environnement proche, il s’engage très tôt dans le développement de projets, notamment en Junior entreprise.

Les motivations d’Éric sont très claires, très tôt dans son parcours : il veut changer les choses. Il n’envoie qu’un seul CV dans sa vie. À Apple en 1993. Convaincu que c’était le seul endroit où il pouvait travailler. Il est recruté et devient « évangéliste ». Celui qui « porte la parole » Apple auprès des écosystèmes musique et photo, les artistes, les professionnels, les médias, les évènements, les écoles… Sur des sujets de dématérialisation de la musique, de la photo, des industries qui connaissent depuis 25 ans une vraie révolution.

Alors qu’il est au cœur de ces bouleversements il décide de profiter de son coup d’avance pour créer sa première boîte. Dans la foulée, en 1995, il monte l’agence Palo Alto, un pionnier dans la production digitale, spécialisé dans les solutions de marketing, communication, et relations clients. Il décide, avec son associé, de céder Palo Alto à Publicis en 2001. En 2002, il part développer des partenariats d’innovations avec Apple et Smart. Quelques créations plus tard, Reloaded, Kidou, FreeBirds, Digital Meanings, le voilà prêt à construire sa House of Codesign pour aider à « concrétiser les idées qui changent le cours des choses ». Une entreprise à mission lancée en 2017, avec sa raison d’être, ses objectifs de mission, ses actions clairement définies, et son commissaire à la mission. La House of Codesign facilite les innovations sociales ou environnementales dans les grandes organisations, par l’intelligence collective et le design, en impliquant les parties prenantes, et avec un objectif : l’impact.
Pour Éric, « on peut chanter de l’opéra partout…mais c’est quand même mieux dans un opéra » et donc « le lieu fait le lien ». La House of Codesign est cet espace pensé pour stimuler la cocréation et l’innovation. Implantée à Saint-Ouen et à Bruxelles, c’est une « ruche de compétences » comprenant une quinzaine de coaches spécialisés en sciences sociales, en design, en techs, des ingénieurs, des développeurs, de 20 à 60 ans, de l’Europe entière.

Éric a développé une méthodologie particulière qui accélère le processus de résolution des problèmes. « Une machine à régler les problèmes » testée sur tous les types de problématiques avant d’être totalement dédiée aujourd’hui à l’innovation sociale et environnementale. Une méthodologie fondée sur l’intelligence collective et le design thinking.

House of Codesign devrait réaliser un Chiffre d’affaires de 2,6 M en 2023. La société de conseil compte parmi ses clients Vinci, L’Oréal, Bouygues, l’Éducation Nationale (projet PIX) et une vingtaine de projets réalisés en 2022. Elle accompagne le programme innovation monde des achats de L’Oréal avec 8 projets conduits en permanence (Décarbonation, reforestation, flottes de véhicules, optimisation des relations avec les fournisseurs et best practice…). Groupe Alpha, conseil leader en Ressources Humaines, vient de rentrer au capital de House of Codesign à hauteur de 15%.

Éric Lemoine révèle aussi d’autres vocations avec son initiative KickStart qui accompagne des jeunes des quartiers du 93 dans la formulation de leur projet entrepreneurial, et un parcours d’incubation financé avec des partenaires. Et Éric trouve encore le temps d’enseigner à SupRH, et de s’engager aux côtés de TimeForThePlanet.

1) Pourquoi être devenu entrepreneur  ?

C’est avant tout le besoin de liberté. C’est la valeur suprême de l’entrepreneur. La liberté de changer les choses. De se donner les moyens de changer ce qui ne fonctionne pas. Et le faire soi-même. Piloter le bateau. Mon passage chez Apple a été le déclencheur. À l’époque on a tous pour livre de chevet La 3e Vague de Alvin Toffler, la transformation de la société grâce au microprocesseur. Il faut surfer cette nouvelle vague. C’est pour moi le « game changer », la nouvelle ruée vers l’or, la nouvelle aventure, à laquelle je dois absolument participer. Quand on s’est lancé, on ne savait rien faire. « On naviguait entre l’arrogance absolue et l’inconscience totale ». On était « Bon à rien mais prêt à tout ». On ne voulait pas regarder les trains passer, on s’est lancé.

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

Entreprendre est un état d’esprit qui pourrait relever du déterminisme génétique. On reconnait dans l’œil des autres la flamme qui anime l’entrepreneur. Cette envie viscérale de changer les choses, cette capacité d’adaptation à un environnement changeant qui est la plus grande force et l’intelligence propre de l’entrepreneur. Bien sûr on peut avoir des collaborateurs qui entreprennent, ce que j’encourage avec un style de management hyper souple au sein de l’entreprise. Pour que tout le monde puisse toucher à la prise d’initiative et à la liberté. Mais la ligne entre « entreprendre » et « être entrepreneur » est claire : c’est la prise de risque. Être prêt à perdre quelque chose. Un salarié qui entreprend continue de toucher son salaire en fin de mois et il n’a pas besoin de s’endetter. C’est très différent.

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

La création de valeur dépend de l’utilité de ce que l’on produit. Si l’on ne règle pas le problème de quelqu’un, on n’a aucune raison d’être. Il y a malheureusement beaucoup de gens autour de nous qui ne créent aucune valeur, ou qui créent une valeur artificielle. L’exemple parfait est l’administration qui crée des services, et des services pour contrôler ces services etc… simplement pour justifier de leur existence. Beaucoup de ces activités sont inutiles. Aujourd’hui la création de valeur doit dépasser la simple utilité et se révéler dans l’impact positif créé pour les gens et l’environnement. C’est d’ailleurs ce qui nous différencie d’autres sociétés de conseil, en choisissant nos projets en fonction de leur capacité à produire de l’impact positif. La création de valeur financière n’est qu’une conséquence d’un travail bien fait. Ça n’est pas la finalité. C’est aussi le carburant qui permet de réinvestir et de conserver cette liberté de faire comme nous le souhaitons. Je ne suis pas dans le discours « l’argent ça ne sert à rien », mais plutôt « l’argent est au service de mon intention ».

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

a/ Ouvrir l’éducation à l’entreprise. Se débarrasser des vues biaisées que les enseignants peuvent cascader dans leur enseignement, en leur permettant de passer régulièrement du temps dans le vrai monde de l’entreprise. Beaucoup de chefs d’entreprise seraient prêts à accueillir de jeunes enseignants pour leur faire découvrir leur univers.

b/ Simplifier le patchwork des aides à l’entrepreneuriat. Il y a quelques années j’ai réalisé une plateforme de navigation et de sélection des aides à la création d’entreprise en Île-de-France où un entrepreneur peut avoir droit à des centaines d’aides différentes. À quoi est-ce que tout ça sert ? Une bonne moitié de toutes ces aides ne sont jamais versées à personne. Et c’est sans compter les aides européennes.

c/ Faciliter le financement des sociétés sur des levées de 20-30 millions qui sont obligées d’aller chercher des investisseurs en Californie ou ailleurs, où les choses se font suffisamment vite pour avancer, pour passer les paliers clés de la croissance. On devrait pouvoir trouver et mettre en œuvre ces financements dans un espace-temps compatible avec celui des entrepreneurs.

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