Analyse économique
février 2024
Endettement public,
stop ou encore ?
(publié dans la Décade de Mai 2021)
Alors que le taux d’intérêt moyen auquel la France emprunte explose à 3,15% en 2023, son plus haut niveau depuis 15 ans, que la charge annuelle de la dette atteint 55 milliards, et que la barre symbolique des 3000 milliards d’endettement est franchie, il n’est pas inutile de rappeler l’importance d’une gestion plus saine de nos finances publiques et l’urgence absolue de réduire la dette. Pour cette raison, nous avons choisi ce mois-ci de revenir sur l’analyse éco de La Décade de mai 2021.
Car voilà comment se présentent finalement nos dépenses publiques en 2023 : un Etat qui dépense 150% de ses recettes, le déficit représentant presque la moitié des ressources fiscales ! Soit 179 Mds, le deuxième le plus élevé après 2020 (Covid oblige…) et en dégradation de 22 Mds vs 2022. Et tout cela avec une inefficacité grandissante : ce qui fait le défaut ce n’est pas le manque d’argent mais l’excès de celui-ci et donc le gaspillage qu’il génère. Et on voit bien que depuis notre Décade alarmiste de mai 2021 la situation s’aggrave sensiblement, sans que personne ne s’inquiète et alors que certains appellent même à davantage de dépenses !
Les finances publiques en 2023
Quel est le niveau de dette publique en France ?
Il est d’usage de comparer la dette publique au PIB d’un pays. Pour ce qui concerne la France, les niveaux atteints en 2020 et 2021 sont des niveaux records qui nous rapprochent de ceux rencontrés à la sortie des conflits armés du 20e siècle. La progression récente a été fulgurante, en deux temps, sous l’effet de la crise financière de 2008 et de la pandémie de 2020. Rappelons que nos engagements européens à la création de l’euro étaient de contenir cette dette à moins de 60% du PIB…
Pourquoi est-ce un problème puisque si son niveau monte sans cesse, le coût de cette dette ne cesse de baisser ?
On pourrait naturellement penser que plus la dette augmente plus son coût absolu augmente et plus le risque de défaut devenant prégnant, le taux d’intérêt qu’elle porte doive s’apprécier. Il faut rappeler les ordres de grandeur : la dette française est de 2600 milliards d’euros, son coût de 33 milliards peut se comparer par exemple aux 10 milliards du budget de la Justice ou aux 70 milliards de l’Enseignement Scolaire ; nos dépenses de Défense sont d’environ 40 milliards et le budget de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur de 38 milliards. Aujourd’hui cette dette coûte fort peu : à peine 1,3% en moyenne. Une charge qui a baissé de plus de 10 milliards en deux ans !
Ce paradoxe s’explique par l’intervention de la Banque Centrale Européenne (B.C.E) : elle agit sur les taux courts en les mettant à un niveau négatif, sorte d’aberration économique qui signale que l’avenir a moins de valeur que le présent ; et elle intervient directement sur les taux à long terme en achetant des obligations publiques sur le marché. Ce qui va contre toute l’orthodoxie classique qui interdit normalement à l’émetteur de monnaie qu’est la Banque centrale de financer directement le Trésor (on se rappelle l’émotion de nos amis allemands à ce sujet). Car cela revient à ce qu’on appelle faire tourner la planche à billets : créer plus de monnaie que l’économie ne crée de richesse.
La France bénéficie de pouvoir s’endetter dans une monnaie supranationale, l’Euro. Si elle pratiquait seule cette politique, sa devise se déprécierait fortement, témoignant de l’appauvrissement du pays, comme ce fut le cas de la Grande-Bretagne lors de la crise de 1976 qui mit le pays sous la tutelle du FMI. Il s’est agi donc, en plus, d’une perte de souveraineté que la Grèce a en partie connue suite à la crise de 2011.
La France et les pays du sud de la zone euro profitent de la discipline des pays du nord qui ont contenu ou réduit leur niveau d’endettement au cours des dernières années. Il ne faut pas oublier que les non-résidents détiennent plus de 50% de notre dette publique, ratio qui monte à presque 70% si l’on exclut la dette détenue par la BCE. Par ailleurs, il faut souligner que les pays le moins endettés sont ceux qui ont les PIB par habitant les plus élevés et qui ont le plus progressé au cours de la dernière décennie. Cela questionne la pertinence de l’endettement dans la création de la richesse nationale.
Mais quelle est donc l’origine de cet endettement croissant ?
En réalité, nous vivons au-dessus de nos moyens. Nous refusons d’aligner nos prélèvements obligatoires au niveau de nos dépenses ou nous refusons de réduire nos dépenses au niveau de nos prélèvements. Et cet excès de dépenses ne résulte pas d’investissements qui pourraient éventuellement le justifier. Les investissements ont été rognés au profit de la distribution de pouvoir d’achat.
L’augmentation de nos dépenses et de nos déficits est en grande partie due au poids de nos retraites (plus de 15% du PIB, niveau le plus élevé de l’OCDE, après l’Italie). Le vieillissement de la population (« papy boom »), l’effet de la baisse de la natalité depuis plus de 40 ans et l’avancée à 60 ans en 1982 de l’âge de la retraite sont les causes de cette charge toujours plus lourde. Par ailleurs, les tranches d’âges les plus élevées ont maintenant le pouvoir d’achat par unité de consommation le plus élevé. Il est loin le souvenir de la génération des misérables retraités (il en existe toujours malheureusement) et du minimum vieillesse généralisé.
Nos dépenses de santé et notamment hospitalières sont aussi parmi les plus élevées au monde. D’une façon générale, la réponse aux résultats insuffisants de l’action publique a toujours été d’ajouter de la dépense et des effectifs sans recherche de l’efficience. Si les dépenses d’intervention sociale sont les plus élevées au monde, ce ne sont pas les seules à avoir progressé ; les effectifs de la fonction publique ont crû de 40% ces 40 dernières années alors que la population progressait de 20%. Et les revenus des agents publics ont sensiblement plus progressé que ceux des salariés du secteur privé et les dépassent maintenant en moyenne.
Lorsque l’État a essayé de réduire ses dépenses de fonctionnement, il l’a fait à coups de rabot qui a conduit à la misère de certains services publics et au maintien du gaspillage dans d’autres. Et les collectivités locales n’ont pas ralenti leurs dépenses de leur côté.
Si nos dépenses publiques sont insuffisamment financées, elles sont aussi mal financées. Nos recettes reposent trop sur la production. Impôts de production et charges sociales viennent pénaliser notre productivité et notre compétitivité par rapport à nos partenaires commerciaux. Cette perte de compétitivité est à l’origine de notre désindustrialisation et du niveau élevé de chômage chronique.
De plus, sans pour autant couvrir nos dépenses publiques, les administrations se sont appauvries pour faire face à leurs engagements. Face à l’augmentation du passif s’ajoute la baisse des actifs.
Administrations : un patrimoine en baisse continue de 160 Mds € en 2020 et un endettement sur fonds propres qui explose.
L’actif net résulte de la différence entre l’actif et le passif. Depuis 2007 l’actif net
des administrations françaises (APU) ne cesse de baisser. Il était de 1128 Mds en 2007, les estimations le situent autour de 167 Mds en 2020 (source Insee), soit une division par 6,8.
Quelle est l’urgence à remédier à cet endettement et comment ?
Les projections sont inquiétantes et il faut s’attaquer au sujet avant que les taux d’intérêt ne remontent, ce qu’ils ont commencé à faire.
L’augmentation des taux d’intérêt est inévitable à moyen terme : le niveau actuel est historiquement le plus bas jamais connu et résulte des manipulations des banques centrales. Historiquement les périodes de surendettement ont toujours fini par des périodes d’inflation forte. La reprise probable de l’inflation avec le retour d’une croissance fortement stimulée par les relances budgétaires consécutives à des envolées des masses monétaires est très probable. Il ne faut pas oublier que les banques centrales ont aussi pour devoir d’assurer la stabilité des prix. Elles veilleront certainement à ne pas casser prématurément ou brutalement le cycle de croissance, mais elles devront l’accompagner pour éviter la surchauffe et une perte de contrôle de l’évolution des prix.
Du fait de l’échéance annuelle d’une partie de ses emprunts et de la nécessité de les renouveler ainsi que de la nécessité de financer les nouveaux déficits, c’est plus de 15% de son stock de dettes que l’État français émet chaque année. Ce sont ces nouvelles émissions qui ont permis de baiser le coût de la dette et ce sont les mêmes qui feront augmenter celui-ci en cas de hausse des taux. Bercy a ainsi chiffré à environ 30 milliards d’euros le coût supplémentaire de la dette au bout de 8 ans en cas de hausse des taux de 1%. La normalisation des taux d’intérêt pourrait en l’espace de 10 ans projeter le coût de la dette à 60 ou 90 milliards d’euros devenant ainsi le premier poste de dépenses budgétaires. C’est pour cela qu’il faut contenir et réduire la dette dès maintenant, en commençant par réduire les déficits.
L’augmentation des impôts semble illusoire et délétère. On l’a vu dans le passé : fuite des capitaux et fuite des cerveaux. Trop d’impôt tue l’impôt et notre niveau record de prélèvements obligatoires a montré ses limites.
Certains proposent de ne pas rembourser cette dette : au regard de nos besoins de financement, il est difficile d’imaginer que nous retrouverions des prêteurs si nous annulions tout ou partie de notre dette. Comment pourrions-nous dès lors financer les retraites et les dépenses médicales et sociales de tous genres?
La solution repose sur la maîtrise de la dépense publique, la recherche de son efficience et l’exigence de résultats.
Ce qui implique de définir des responsabilités qui ne sont pas établies aujourd’hui.
« La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » nous dit l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Il est surtout nécessaire d’augmenter notre production en augmentant notre potentiel de croissance.
Cela ne peut se faire que par une progression de la quantité de travail produite ; celle-ci est très inférieure à celle de nos voisins et les leviers importants existent sur les tranches d’âge 15-24 ans et 55-64 ans qui ont des taux d’activité trop faibles.
Le taux d’activité est le rapport entre la population active (celle qui travaille, cherche un emploi ou est en formation) et la population en âge de travailler, définie comme celle âgée de 15 à 64 ans.
Cela permettra de remonter le nombre d’heures travaillées qui nous situe aujourd’hui fortement en bas de classement dans les comparaisons internationales.
Nombre d’heures travaillées rapporté à la population totale (par an)
Enfin, une certaine reprise de l’inflation viendra appauvrir les créanciers et allégera le poids de cette dette, sous l’effet des relances budgétaires colossales qui risquent de mettre en surchauffe certaines économies et de la poursuite de politiques monétaires laxistes.
Bref, des réformes structurelles de nos dépenses sociales, une meilleure efficience de l’intervention publique et l’augmentation de la quantité de travail doivent améliorer notre taux de croissance.
Avec un peu d’inflation, la dette diminuera et nous pourrons supporter l’augmentation de son coût.
Certains pays ont entrepris et réussi ce genre de transformation. Mais de la parole aux actes…