Au fil des lectures : reçu 10/10
octobre 2019
« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)
Denis Olivennes – Le délicieux malheur français – Albin Michel
C’est un peu une suite contradictoire au « Bonheur d’être français » de Jean d’Ormesson (1995) que nous livre en cette rentrée Denis Olivennes : la France reste un pays riche, et des plus égalitaires au monde où pourtant dominent et s’expriment périodiquement les plaintes multiples, le malheur et la défiance généralisée.
Sûrement pas la faute au libéralisme, puisqu’elle détient le record des dépenses publiques et s’asservit sous l’infinitude de ses lois et règlements, contrairement à ce qui est affirmé à droite comme à gauche.
La cause du malheur français revient en fait à la maltraitance de sa classe moyenne, les politiques sociales leur ayant fait payer la protection très élevée et très couteuse des plus faibles. Perdant la perspective de se maintenir voire de progresser, nos classes moyennes vivent une insécurité économique, culturelle et physique amplifiée par de nombreux discours politiques.
L’État providence hérité du programme du Conseil National de la Résistance est en fait corporatiste à son profit, clientéliste et étatiste pour se maintenir. Avec 44 régimes de retraites, des protections très variables de la santé, et une assurance chômage en grand écart selon les professions, la passion des Français pour l’égalité est en fait totalement inassouvie.
Dans ce désarroi, l’individualisme soutenu par l’extension infinie des droits et les alliances ponctuelles et opportunistes en sous-groupes d’intérêts cassent le modèle républicain d’intégration.
Les politiques passants, la « sociale-technocratie » qui n’est pas à plaindre, maintient le système sans qu’aucune responsabilité ne puisse être trouvée. À ce sujet Denis Olivennes aurait pu davantage interroger nos institutions et leur mode de fonctionnement plutôt que d’attribuer la situation qu’il décrit justement à nos choix collectifs implicites.
C’est d’ailleurs cette incapacité à définir les responsabilités qui génère les éruptions régulières des mécontentements et de violences comme les gilets jaunes cette année. Car ces choix implicites conduisent à la dépendance des bénéficiaires de la redistribution, qui bloque leur évolution vers les classes moyennes en risquant de perdre par ce mouvement. Et qui, de l’autre côté par l’impôt et les cotisations sociales, asservit les classes moyennes et moyennes supérieures qui voient décliner les services publics et stagner leur pouvoir d’achat.
On déduit de cette lecture le déficit de liberté et de mobilité économiques qui s’est creusé en fait parallèlement à nos déficits publics. Il y a une contradiction dans notre bonheur tel que formulé comme plus de richesse avec moins de travail et plus de protection sociale. C’est cette promesse de bonheur annoncée par les gouvernants à chaque échéance électorale dont devraient se méfier les Français. Les comparaisons statistiques montrent bien que si nous voulons la richesse et la protection d’un système évolué, nous devons travailler plus : c’est-à-dire être plus nombreux à travailler. Donc revoir notre politique de formation des 15-24 ans et, oui, retarder l’âge du départ en retraite pour aligner l’activité des 59-64 sur celle des pays dont les citoyens disent y vivre heureux.
On appréciera dans cet ouvrage les multiples statistiques qui viennent démentir les préjugés et idées fausses qui entretiennent notre malheur collectif.