Au fil des lectures : reçu 10/10
septembre 2023
« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)
Christophe Bonnet. « C’est la faute des actionnaires » fausses croyances et vrais débats. PUF
La faible promotion faite par la presse de cet essai confirme le bien fondé des analyses de son auteur ! Bonnet est enseignant-chercheur mais aussi professionnel de l’investissement, une situation de praticien et de théoricien conduisant à toute l’exigence qui dicte ses analyses.
Elles ressortissent du domaine de la science et non de la politique. Il décortique ainsi trois mythes dominants dans l’opinion publique et médiatique s’agissant des actionnaires :
- Leur vénalité extrême qui leur fait exiger une rentabilité de 15%.
- Cette même vénalité qui pousse les entreprises au paiement de dividendes au détriment de l’emploi et de la croissance.
- Leur obsession du court terme pour assurer leur rémunération au prix de la négligence du long terme.
Sur le premier thème par exemple, l’auteur explique bien ce qu’il faut entendre quand on parle de rentabilité, qui est nécessaire à la croissance durable et qui est la contrepartie du risque et de l’illiquidité de l’investissement. Il démontre que la rentabilité des fonds propres (ROE, return on equity) des entreprises du SBF 120 est proche de 11%. Il dissocie l’espérance de gains des actionnaires selon l’état et l’âge de l’entreprise et montre que la performance des marchés d’actions est plus proche de 7% que de 15% sur le long terme. Qu’il s’agisse donc de la rentabilité intrinsèque des entreprises ou de la performance boursière (rentabilité pour l’actionnaire) on ne trouve pas de trace réelle en moyenne de ces fameux 15%. Quelle est la rentabilité attendue par les actionnaires ? Quel est le bon niveau de rentabilité des entreprises ? C’est au marché d’en décider.
S’agissant des dividendes, la Décade a eu l’occasion de préciser ce qu’ils sont en réalité. En tout cas, rien à voir avec ce qu’en comprend Oxfam France cité par l’auteur : « la primauté donnée à la rémunération des actionnaires a pour corollaire une baisse significative de l’investissement, ce qui risque de fragiliser à terme la santé économique des entreprises françaises ». Ce qui est un exemple de vecteur d’informations fausses sur le fonctionnement de l’économie et des entreprises.
Car l’auteur dans une quatrième partie pose la question : pourquoi de tels mythes existent-ils et comment se diffusent-ils au détriment d’une vérité scientifique pourtant accessible ? Bonnet dans une démarche universitaire qui continue d’être scientifique, creuse le sujet des 15% et en trace les principaux facteurs existentiels : la non documentation des affirmations, la préférence pour le jugement moral et cite à ce sujet Raymond Boudon : « il est plus facile de porter un jugement moral sur tel épisode historique ou sur tel phénomène social que de les comprendre ». Et enfin,
la faible culture économique et financière des français, également prouvée, qui constitue le terreau fertile au développement et au maintien de ces mythes. Dire que tout va mal plutôt que de vanter les extraordinaires apports du capitalisme aux conditions de vies de l’humanité est une constante du mystificateur : « ce n’est pas celui qui espère quand les autres désespèrent mais celui qui qui désespère quand les autres espèrent qui est admiré par une grande classe de personnes comme un sage » (J-S Mill 1828). Et le confort intellectuel et psychologique, nourri de biais et de paresse s’ajoute au cocktail délicieux de l’ignorance et du jugement.
L’auteur prolonge sa réflexion en créant un modèle de diffusion des fausses croyances économiques remarquable, car à la réflexion il pourrait être déployé sur d’autres sujets et matières à l’heure où fleurissent les « fake news ». Clairement le traitement médiatique figure au centre du mécanisme de diffusion, mais d’autres facteurs sont à l’œuvre aussi dans le déploiement des contre-vérités. Le Décade invite vivement ses lecteurs à les découvrir en lisant cet ouvrage passionnant et rigoureux qui ouvre pour finir deux sujets en cours de diffusion : la finance verte et la réduction du pouvoir des actionnaires. Mythes en cours de constitution ou nécessités finalement imposées par le marché lui-même, qui reste dirigé par le temps long et la croissance ?