Analyse économique

mars 2018

César Birotteau et les zombies

La Décade a mentionné à plusieurs reprises la faiblesse de la croissance de la productivité comme une des caractéristiques importantes, mais peu notée de la situation économique actuelle. De nombreuses hypothèses peuvent être formulées pour expliquer cette tendance, mais certains économistes estiment que les politiques monétaires extrêmement accommodantes qui ont répondu à la récession de grande ampleur qui a accompagné la crise financière il y a 10 ans, ont pu jouer un rôle en ralentissant le mécanisme de destruction créatrice qui est un des moteurs de l’amélioration de la productivité, les entreprises les plus efficaces prenant des parts de marché aux autres. Comment ? En maintenant en vie grâce à des taux d’intérêts extrêmement bas, des entreprises proches de la faillite du fait de leur manque de compétitivité. Ces entreprises sont des entreprises établies, mais qui ont des difficultés prolongées à couvrir leurs charges financières (bénéfices avant intérêts et taxes inférieurs aux intérêts). Les économistes parlent alors d’entreprises zombies. Début janvier, une conférence organisée par la BRI, le FMI et l’OCDE s’est tenue pour faire le point sur le rôle des facteurs financiers dans cette faiblesse de la croissance de la productivité. Une enquête récente de la COFACE montre que la prévalence de ces entreprises a augmenté en France entre 2013 et 2016.

Pourquoi les entreprises zombies survivent-elles ?
Ces entreprises survivent en général grâce au soutien de leurs créanciers qui continuent de les porter à bout de bras plutôt que d’afficher une perte sur les prêts déjà attribués. Concrètement les créanciers, souvent bancaires, continuent de prêter aux entreprises pour leur permettre de couvrir leurs frais financiers. Cette pratique, dite d’ « evergreening », s’apparente à de la cavalerie. Elle se développe tout particulièrement lorsque les banques sont dans une situation de fragilité. Arrêter de prêter à une société précipiterait cette dernière en faillite. La banque devrait alors afficher une perte correspondant à l’écart entre le montant prêté et la valeur de recouvrement. La tentation peut donc être grande de continuer à prêter à l’entreprise pour lui éviter la faillite, dans l’espoir d’un hypothétique retour à meilleure fortune, afin de ne pas trop entamer les capitaux propres de la banque déjà sous pression. Cette pratique peut avoir d’autant plus de sens dans les pays où le droit des faillites ne permet pas une liquidation rapide de la société. Des études mentionnées lors de cette conférence confirment un lien entre les entreprises zombies et les banques les plus fragiles en Europe sur les dernières années, mais ce mécanisme avait déjà été observé au Japon dans les années 90. Certains économistes attribuent d’ailleurs une bonne partie de l’entrée du pays en déflation aux problèmes du secteur bancaire et à l’absence de restructurations.

Comment les entreprises zombies pèsent-elles sur la croissance de la productivité ?
Le mécanisme de destruction créative, par lequel les entreprises les plus fragiles sont éliminées au profit des plus dynamiques, permet une amélioration de la productivité globale. Cela se produit par le transfert des ressources, financières comme humaines, des entreprises qui disparaissent vers des entreprises existantes plus efficaces, mais aussi par la création de nouvelles sociétés qui seront potentiellement plus dynamiques. La présence d’entreprises zombies bloque ces deux mécanismes. Ces entreprises sous performantes conservent leurs effectifs et bloquent le capital alors qu’ils pourraient être réalloués plus efficacement ailleurs. Les prêts qui maintiennent ces entreprises à flot ne sont pas orientés vers de jeunes entreprises plus dynamiques, ce qui peut conduire à une baisse du rythme de créations d’entreprises. D’autres études montrent également que ces entreprises, de par leur fragilité financière, ont tendance à réduire davantage leurs dépenses d’investissement, ce qui pèse encore plus sur la productivité.

Une productivité du travail plus faible dans les secteurs avec une part importante d’entreprises zombies

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Quel est le lien avec la politique monétaire ? Que faire ?
Les récessions sont les moments du cycle économique où ce mécanisme de destruction créative est le plus puissant. Certains auteurs considèrent qu’une politique monétaire de taux trop bas ralentit le travail de réparation des bilans et rend la sélection des emprunteurs plus difficile. Elle permet à de nombreuses entreprises fragiles de survivre. Mais ce point est disputé par d’autres économistes qui considèrent que ces effets sont de second ordre par rapport aux effets directs du cycle et à l’impact de la faiblesse de la demande sur la productivité. Une étude citée dans la conférence montre qu’en effet la restriction de l’offre de crédit augmente le nombre de défauts, mais que les entreprises les plus productives sont autant touchées que les moins productives ! Comme l’évoque Claudio Borio de la BRI, c’est essentiellement dans les phases d’exubérance du marché du crédit que les problèmes d’allocation des ressources se créent. Ceci plaiderait pour une politique de crédit plus stricte dans les phases dynamiques du cycle économique. Là où la conférence affiche une conviction forte est sur l’importance d’un droit des faillites qui permette une liquidation rapide afin de libérer les ressources bloquées dans les entreprises zombies.

Conclusion
L’imaginaire français déteste la faillite, signe d’opprobre dont César Birotteau devient l’objet dans le roman de Balzac. Mais elle constitue pourtant un mécanisme important et naturel de la vie économique. Le dynamisme de l’économie américaine et sa capacité de réaction rapide sont soutenus par son droit des faillites qui permet une bonne circulation du capital. Lorsque les financements bancaires sont prédominants comme en Europe, à la différence des États-Unis, les intérêts immédiats des créanciers et des débiteurs peuvent parfois se rejoindre pour maintenir en vie des entreprises qui ont peu de chances de survie. Ces entreprises zombies deviennent alors un poids pour toute l’économie d’un pays.

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