Au fil des lectures : reçu 10/10
novembre 2022
« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)
Bruno Husson – Analyse financière et évaluation d’entreprise – PUF
Diplômé d’HEC et titulaire d’un doctorat d’État en finance, Bruno Husson a enseigné la finance d’entreprise dans les différents programmes d’HEC Paris pendant plus de quarante ans. En parallèle, il a développé au sein de plusieurs établissements, parmi lesquels Oddo BHF et Accuracy, une activité de conseil en analyse financière et en évaluation d’entreprise. Et c’est bien le résultat de cette double activité de pédagogue de la finance et de praticien de celle-ci qui fait la valeur de cet ouvrage, à la fois académique et pratique. Car la question de la création de richesse est au cœur de la compréhension des phénomènes économiques. Le débat français se distingue par l’importance donnée à la répartition de richesse et à la négligence faite à la création de celle-ci et à laquelle Say était si attentif.
Abordée d’un point de vue micro-économique, l’ouvrage de Bruno Husson permet d’en comprendre la mécanique financière. S’il s’adresse surtout aux étudiants et aux professionnels, profitons-en pour éclairer chacun, en simplifiant grandement, sur ce phénomène et projetons le dans une vision macroéconomique. Say distingue l’entrepreneur, l’apporteur de capital, l’apporteur de travail et appelons le l’ingénieur qui apporte la technique, pour souligner que sans le premier, les trois autres ne feraient rien.
Le livre de Bruno Husson est évidemment concentré sur le capital et la création de richesse entendue comme moyen de prospérité matérielle. Une entreprise a en effet besoin de capitaux pour se lancer, pour investir et pour croître. En face de ces capitaux (fonds des actionnaires et dettes) on trouve donc des immobilisations corporelles qui seront des terrains, immeubles, machines, mais aussi des immobilisations dites incorporelles comme les brevets, les marques ou autres droits permettant à l’entreprise de fonctionner. Il faut aussi compter les stocks et les créances à recevoir des clients qui ne payent pas comptant mais qui sont en partie financées par ce que l’entreprise doit elle-même à ses fournisseurs.
Pour que ce fonctionnement soit durable il faut que la mise en œuvre de ces capitaux ainsi utilisés rapporte plus qu’ils ne coûtent. Car on le sait la capital coûte, même si pour ce qui concerne la dette, la politique monétaire de la dernière décennie a pu laisser croire aux agents économiques et à l’État qu’il n’en coûtait rien avec la politique des taux à zéro…Les actionnaires de leur côté exigent un revenu sur le capital qui viendra les compenser de sa non consommation et du risque pris si l’entreprise ne fonctionne pas comme prévu. La création de richesse par l’entreprise est la capacité de celle-ci à dégager un surplus (chiffre d’affaires moins charges) qui sera supérieur au coût du capital qu’elle utilise. Ce qui distingue la profitabilité de la rentabilité : faire des profits en quantité insuffisante pour assurer le coût de la dette et des fonds propres peut condamner l’entreprise. Celle-ci n’est rentable que si ses profits rapportés aux capitaux qu’elle utilise sont suffisants pour couvrir le coût de ceux-ci : la rentabilité des capitaux doit être supérieur à leur coût pour que l’entreprise soit durable.
Il est vrai pourtant que beaucoup d’entreprises durent sans remplir cette condition :
• Les nouvelles entreprises notamment, les « start-up » qui passent par une phase de forte croissance et de non rentabilité mais qui restent financées par la promesse du succès d’un business model qui a besoin de temps pour se déployer. Et cela peut durer longtemps : l’activité de distribution d’Amazon, par exemple, ne semble pas rentable et reste soutenue par son activité de web services. C’est pourquoi dès que la conjoncture se durcit un peu, Amazon arrête les constructions d’entrepôts et réduit ses effectifs de distribution. Et qu’Elon Musk licencie massivement chez Twitter qui n’a jamais réussi à trouver une rentabilité acceptable.
• Les entreprises plus anciennes qui par réduction de leur marché ou de leur part de marché par manque d’innovation, ou de caducité de leur modèle continuent pourtant leur activité : avec des soutiens publics, des financements à trop faibles coûts (taux zéro) et la complaisance des apporteurs de financements, jusqu’à devenir des entreprises « zombies » ou disparaître. Un bel exemple a été donné ces dernières semaines par la chaîne de distribution Camaieu qui a fini par être liquidée.
• Enfin, les effets du cycle économique peuvent conduire des entreprises rentables à passer des moments de non rentabilisé par baisse de leurs marchés finaux ou de baisse de leurs prix de vente qui amoindrit ou annule leurs profits. Celles-ci doivent avoir un business model avéré et des actionnaires ou banquiers patients et compréhensifs. Cela a été longtemps le cas des constructeurs automobiles européens qui semblent pourtant, par l’effet des concentrations et restructurations pouvoir passer un creux de cycle dans de meilleures conditions.
Les autres entreprises assurent un niveau de rentabilité qui leur permet de durer et de financer leurs besoins d’investissement et leur croissance par le surplus qu’elles produisent. Et si leur capacité dépasse ces besoins elles sont légitimes à distribuer l’excédent sous forme de dividendes. Une entreprise comme l’Oréal est un bon exemple.
Pour ceux qui s’intéressent à ces sujets, ils se délecteront de la finesse et de la technicité que Bruno Husson développe à approfondir et expliquer ces phénomènes qui sont le moteur du développement de la prospérité des entreprises et qui fait celle de nos sociétés modernes depuis la révolution industrielle.
Car il est possible de transposer l’analyse sur un plan macro-économique. Pour saisir cette approche globale du phénomène vous pouvez imaginer une économie nationale représentée par deux colonnes :
L’une servant au financement : avec l’épargne domestique et aussi l’épargne internationale si l’économie ne s’autofinance pas (a des comptes courants négatifs), des dettes bancaires et des dettes banque centrale.
L’autre colonne, quant à elle, comprend les mines et réserves exploitées d’hydrocarbures,
Le foncier agricole et constructible,
L’immobilier résidentiel, industriel et tertiaire, les infrastructures (transport et communication)
Les actifs de production, machines et stocks,
Les actifs incorporels comme les brevets et les marques, mais plus largement sans doute le niveau d’éducation général de la population, sa capacité à se former et innover, sa mobilité et son adhésion au modèle politique et économique qui permet la liberté et sa mise en œuvre dans l’entreprenariat.
Sans oublier les œuvres d’art et métaux précieux.
Eh bien, la production de richesse, c’est la mise en mouvement par l’initiative et le travail de ces actifs ainsi financés.
Il en résulte une production qui une fois vendue génèrera des revenus. Ceux-ci seront destinés à la consommation et à l’épargne. Et l’épargne, par le phénomène d’accumulation, financera l’investissement qui permettra la productivité et la croissance.
Que se passe-t-il dans notre pays ? Pour résumer, alors que la population continue d’augmenter, notre création de richesse stagne. Depuis 1980, la population française a progressé de presque 13 millions d’individus, mais l’emploi dans le secteur marchand a stagné ; les effectifs manufacturiers ont baissé de 5 à 2.8 millions ; les effectifs de la fonction publique sont eux passé de 3.8 à 5.3 millions ! La part de l’industrie manufacturière est tombée à 11 % du PIB alors qu’elle est stable en Allemagne à 22%. Notre PIB marchand, celui qui permet l’accumulation du capital est relativement le plus faible des pays développés rapporté au PIB total : 43% contre 57% en Allemagne et 64% aux États-Unis (où une grande partie de la santé et de l’éducation sont dans le PIB marchand).
Cette perte de productivité, dont témoigne ce déclin, explique la perte de compétitivité et notre incapacité à satisfaire nos besoins par notre propre production. Tout simplement parce que nous avons fait le choix collectif d’être les champions de la dépense sociale, c’est à dire de privilégier dans notre pacte social la redistribution de la richesse à sa création. Notre dépense sociale représente en effet 31% du PIB contre 26% en Allemagne et 22% dans le reste de l’OCDE.
Mais aussi et surtout nous avons aussi décidé de financer cette dépense sociale excessive par l’endettement et par la production et non par les revenus ou la consommation. Ce financement par la production peut s’illustrer par le taux de prélèvement sur le résultat comptable (avant prélèvement donc) des entreprises : il s’élève à 67%, composé de 56% de charges sociales et environ 11% d’impôts et taxes, contre 49% en Allemagne. Ce coût provoque un handicap de compétitivité de l’entreprise qui, par manque de profitabilité, ne peut plus investir et perd ses parts de marché jusqu’à disparaître. Ainsi se répondent création de richesse par les entreprises et politique macro-économique.