Analyse économique
janvier 2021
« Besoins essentiels »,
mais qui en décide ?
Pour lutter contre la pandémie les gouvernants ont limité l’activité économique et réduit la consommation aux « besoins essentiels » dont la satisfaction autorisait les déplacements et en interdisant en revanche la poursuite de consommations « non essentielles », sans pour autant donner une définition positive de cette différence.
Les écarts de traitement ont ainsi été souvent jugés absurdes ou injustes : en effet, les besoins sont qualifiés par les agents économiques eux-mêmes et dans une société de liberté, aucune autorité publique ne pourrait prétendre se substituer à l’appréciation des uns et des autres. Nous proposons aux abonnés de La Décade la relecture d’un « classique » sur le sujet dont nous dévoilerons le nom dans notre prochain numéro.
« L’activité humaine présente un aspect économique lorsqu’il y a lutte contre la rareté. Tout homme a des besoins, c’est-à-dire des désirs de disposer de moyens capables de prévenir ou de faire cesser des sensations de peine ou d’insatisfaction, ou de moyens aptes à accroître des sensations agréables.
Ces besoins sont éminemment subjectifs : chaque homme décide s’il y a pour lui un besoin et dans quelle mesure ce besoin existe. Le besoin varie d’un individu à l’autre.
La notion économique de besoin se distingue pour cette raison d’autres notions du besoin qui font appel à des critères objectifs :
– Notion physiologique du besoin, qui exprime par exemple le nombre de calories dont l’homme a besoin pour vivre ;
– Notion sociologique du besoin, qui tient compte des types de civilisation et des milieux auxquels appartient l’individu ;
– Notion morale du besoin, qui recourt au critère de l’utile ou du nuisible,
ou à certaines valeurs.
Certes, les besoins que l’homme ressent et exprime sont commandés par des facteurs physiologiques, sociologiques, psychologiques et moraux. Mais ils dépendent avant tout de ses exigences propres. Il n’y a pas, comme le prétendait l’économiste viennois Carl Menger (1840-1921), de besoins « véritables » et de « besoins imaginaires ».
Les besoins humains sont nombreux : matériels et intellectuels ; physiologiques et psychologiques. Ils s’accroissent et se diversifient sans cesse parce que l’homme est infini dans ses vœux, qu’il découvre sans cesse de nouveaux objectifs et de nouveaux moyens, que la vie de ses semblables lui offre des motifs d’imitation et d’émulation toujours renouvelés.
Or les moyens que l’homme a de satisfaire ses besoins sont limités. Il vit dans un monde de rareté. Les ressources dont il dispose sont soit insuffisantes à un moment donné, soit mal réparties dans l’espace. Même s’il jouissait de ressources abondantes, s’il vivait en pays de Cocagne, l’homme serait encore limité par le temps, le plus rare de tous les biens.
Faute de pouvoir tout avoir à la fois et tout faire en même temps, l’homme doit effectuer des choix. Pour atteindre un certain objectif, il est contraint de sacrifier d’autres fins, de ne pas appliquer à leur réalisation des moyens limités et un temps rare. Tout choix est donc assorti d’un sacrifice, d’un coût que l’on nomme coût d’opportunité. Le coût d’opportunité est le sacrifice en termes réels que subit un sujet économique qui procède à un choix entre plusieurs actions possibles (…).
Rareté des moyens, choix entre des fins, coût, telles sont les trois idées qui permettent de comprendre l’essence de l’activité économique : comme le dit de manière imagée Wilhelm Röpke (1899-1966), « qui penserait que tout le mécanisme de l’économie humaine ne soit qu’une chaîne sans fin de variations compliquées sur un simple thème fondamental : faire une malle ? Toute notre vie se compose d’une masse de décisions semblables qui servent à équilibrer les moyens et les besoins. C’est en partant de ce point de vue que nous employons notre revenu, que nous dirigeons nos affaires, que nous organisons la production, que nous répartissons notre temps entre le travail et le loisir, le sommeil
et la veille ». »
Il est donc bien clair que seuls une approche bureaucratique ou un ordre moral peuvent permettre au pouvoir réglementaire de définir ce qui est essentiel à chaque individu. Dans les deux cas, il s’agit d’une atteinte à sa liberté.