Au fil des lectures : collé 0/10
mars 2020
« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)
Bercy rétablit le contrôle des prix !
Depuis une ordonnance de décembre 1986, les prix sont libres en France. Le portail de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) précise en effet :
« Les prix sont librement déterminés par les professionnels. Depuis le 1er janvier 1987 tous les prix sont libres, à quelques exceptions près, lorsque la concurrence est inexistante ou insuffisante : certains transports publics, tarifs du gaz ou de l’électricité, cas particulier des livres… »
Cette DGCCRF est bien sûr une des grandes directions du Ministère de l’Économie et des Finances. Ce même Ministère souffre pourtant, d’une forme de schizophrénie puisque sous la signature du Premier Ministre Philippe et du Ministre Le Maire a été publié un décret le 5 février relatif au plafonnement des frais afférents aux Plans d’Épargne en Actions (PEA). Heureusement le sujet est plus restreint que la loi du Maximum de 1793 sur le prix du blé ou que la Charte des prix de Vichy en 1942. Néanmoins il témoigne bien de la culture dirigiste de notre Ministère (et de son Ministre).
Ce décret en est une belle illustration : issu de la loi « Pacte » (Plan d’Action Pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise…) de mai 2019, qui incidemment réforme la réglementation des PEA. Les PEA (et les PEA-PME) sont des comptes d’épargne bénéficiant d’un statut fiscal privilégié destiné à orienter l’épargne des français vers les actions, donc vers les entreprises de l’Union Européenne. La réglementation européenne sur la concurrence interdit un dispositif qui ne serait orienté que vers les entreprises nationales. Il est donc clair que les PEA ne sont pas destinés à proprement parler à financer les entreprises mais bien à orienter l’épargne vers des actifs de long terme en réduisant la fiscalité qui fait la part trop belle à l’État qui gagne toujours trop -sans jamais perdre- à ce que les investisseurs prennent des risques, au point de les dissuader d’en prendre. Créés en 1992, les PEA ne sont pourtant pas un succès : on compte 6 millions de PEA pour 29 millions de foyers et pour un encours inférieur à 100 milliards d’euros, soit un encours moyen de 15 000 euros. Rappelons que les sommes versées sont plafonnées à 225 000 euros par personne, soit 450 000 euros pour un couple. En comparaison, environ 55 millions de Livrets A sont ouverts pour un encours moyen de 4 500 euros et un total supérieur à 250 milliards d’euros. Il est donc clair que l’épargne des français n’est guère investie en entreprises, mais bien davantage dans la dette de l’État si l’on prend en compte également leurs placements en assurance vie.
Soucieux donc de corriger cette anomalie, la loi Pacte modifie les règles de plafond de versement au profit des PEA-PME (destinés à l’investissement dans les PME, et limités jusque-là à 75 000 euros, mais ne représentant que 200 000 comptes ouverts pour un encours inférieur à 2 milliards). Avec toujours cette idée que la carotte fiscale fera venir l’épargne vers nos chères PME et ETI « qui créent des emplois ». Il est donc possible de verser 225 000 euros sur un PEA-PME, mais les sommes cumulées PEA + PEA-PME ne peuvent dépasser ce montant. Énorme changement en perspective…
Mais imaginant un raz de marée de l’épargne vers ces instruments, le législateur et le Ministère craignent la création d’une rente formidable pour les banques qui commercialisent ces produits d’épargne et saisissent donc l’occasion pour réglementer les frais associés, comme ils réglementent le taux de l’usure. C’est notre 0/10 du mois.
Car on parle d’enjeux anecdotiques d’un point de vue économique : il s’agit de la tarification de comptes d’épargne peu répandus et aux encours faibles. Mais cela mérite toute l’attention de la technostructure et de son idéologie.
Il est fait mention dans le décret, d’un taux de frais maximum de 0,5% « lorsque l’opération est effectuée par voie dématérialisée » et de 1,2% dans les autres cas. On pourrait s’étonner justement de ce taux : d’où sort-il ? A-t-il été fixé après une analyse des coûts et après application d’un taux de marge ? On en doute. C’est pourtant ce qui pourrait expliquer qu’il y ait deux taux ; quelle est la différence entre une opération dématérialisée et une autre ? Voilà qui va nourrir de la jurisprudence, conséquence judiciaire logique de toute réglementation fumeuse.
Une partie de cette idéologie rencontre une opinion bien répandue et soigneusement entretenue que les banques gagnent trop d’argent et « tondent » leurs clients. Malheureusement, les performances financières des banques françaises démontrent le contraire, avec des taux de rentabilité très inférieurs aux banques américaines par exemple, et des suppressions d’emplois par dizaines de milliers depuis dix ans (sans une larme du ministre) ; sous le coup de taux d’intérêt négatifs, elles doivent également faire face à une inflation réglementaire colossale et à des évolutions technologiques très coûteuses. Le contrôle des prix par le plafonnement ne va faire qu’aligner les prix au plafond et donc réduire le jeu de la concurrence.
Car c’est la seule concurrence qui permet de réduire les prix et si les banques ont des efforts de productivité à faire et à rendre à leurs clients, c’est bien elle qui doit permettre de récompenser les plus performantes. Il eut été certainement plus utile pour cela de faciliter davantage la mobilité bancaire par exemple (faculté de transférer ses avoirs et crédits d’une banque à l’autre avec des délais et des coûts contrôlés -à juste raison cette fois-ci).
De manière bien plus visible et encore plus risible peut-être, le 6 mars l’annonce du Ministre de contrôler le prix des solutions hydro-alcooliques (désinfectant protégeant de la contamination du coronavirus) à 2 euros maximum les 50 ml, et 3 euros les 100 ml (pourquoi pas 4 euros ?) vient confirmer la vision technocratique de la formation des prix et la suspicion de l’État à l’égard des acteurs économiques et du marché.
Pourtant en juin 1973, s’adressant à ses actionnaires, le baron Bich -fondateur du groupe Bic- s’exclamait : « on ne tient pas le prix du bœuf en contrôlant les bouchers, on tient le prix du bœuf en produisant du bœuf ». Entendu donc en 1986, mais oublié en 2020…