Analyse économique
juin 2024
Que sait-on en économie ?
En tant que discipline, l’économie se voit souvent reprocher sa « Physics envy », jalousie de la physique. Autrement dit, comme le développement de la physique a réussi à expliquer en quelques lois le fonctionnement du monde physique, l’économie, et plus particulièrement la macroéconomie aimerait expliquer avec un nombre restreint de lois la totalité, ou tout du moins une grande partie des phénomènes économiques. La connaissance de telles lois permettrait de fonder les décisions de politique économique sur une évaluation certaine de leurs conséquences. Hélas, comme l’avait remarqué Elizabeth II, la Grande Crise Financière n’avait pas été prévue par les économistes. De même, les prévisions des banques centrales n’ont fait que suivre la poussée d’inflation actuelle et celle-ci s’est avérée beaucoup plus persistante qu’initialement prévu. Et l’économie réagit de manière parfois inattendue aux mesures économiques.
Les banquiers centraux qui doivent prendre leurs décisions ont d’ailleurs l’habitude de dire que la politique monétaire est plus un art qu’une science. Si les banques centrales utilisent des modèles économiques à la pointe de la recherche économique et construits avec la meilleure rigueur théorique, elles se reposent également sur tout un ensemble de données et d’analyses beaucoup plus simples pour prendre leurs décisions. L’économie est une matière trop complexe, trop mouvante pour se soumettre à une approche réductionniste. Mais alors toutes les recommandations de politique ne sont-elles vouées à n’être que l’expression des opinions et des préjugés de ceux qui les émettent ?
S’il est compliqué de savoir a priori si une politique économique sera bonne et portera du fruit, il est en réalité beaucoup plus simple de savoir ce qu’il ne faut pas faire. L’histoire économique regorge en effet de contre-exemples. Dans son ouvrage intitulé ils se sont si souvent trompés, Anne de Guigné présente différents exemples historiques de mauvaises politiques économiques dont les conséquences se sont révélées presque toujours désastreuses, mais dont l’attrait, lié à la simplicité ou la facilité, a fait qu’elles ont été trop souvent reprises. L’édit du Maximum de Dioclétien en 301 rappelle les effets désastreux du contrôle des prix. La rigidification du pouvoir autour de quelques familles à Venise ou l’attitude du pouvoir russe au XIXe siècle rappellent combien la protection des rentes ou des puissances en place peut être néfaste à la croissance à long terme. Les afflux de métaux précieux qui ont financé l’âge d’or Espagnol n’ont pas été utilisés pour soutenir l’activité domestique. En symétrique de la création monétaire débridée du système de John Law, on peut trouver les efforts du Royaume-Uni pour revenir à parité avec l’or d’avant la première guerre mondiale. Enfin, la mise en place des 35 heures constitue une énième itération du raisonnement fallacieux du gâteau à partager.
Quelles sont les raisons de ces erreurs ? L’ignorance d’abord. L’économie ne s’est constituée en tant que champ d’analyse indépendant qu’à partir du XVIIIe siècle. Ensuite, il fallait être capable de mesurer correctement les flux économiques, chose que l’on n’arrive à faire vraiment que depuis le milieu du XXe siècle.
Mais le plus souvent, ces erreurs s’expliquent par un refus de voir les choses telles qu’elles sont. Nostalgie d’une grandeur passée ou désir de prestige, capture de la décision politique par des intérêts constitués potentiellement menacés par un changement bénéfique à tous, prépondérance de l’idéologie, calculs politiques à court terme : la liste des motifs d’aveuglement plus ou moins volontaire est longue.
Certes, l’économie n’a pas la puissance explicative et prédictive des sciences dures, mais l’histoire des erreurs économiques montre qu’il existe bien une sagesse économique…
(Rediffusion du numéro de mai 2023)