Parole d’entrepreneur
avril 2024
Julien Huelvan – Cofondateur et CEO de Beedeez
Apprendre et transmettre pour changer la vie des gens.
Originaire de Brest, et issu d’une famille de scientifiques, Julien Huelvan a soif de découvertes. Son coup de cœur pour la philo en terminale scientifique explique un petit détour vers hypokhâgne et khâgne avant de reprendre un cap plus business en présentant les concours aux écoles de commerce.
Avec pour première langue… le latin. C’est à Bordeaux que Julien poursuit sa route en intégrant Kedge. Très engagé dans la vie associative, notamment au sein de l’AIESEC, une ONG qui permet aux étudiants de développer leurs qualités de leadership en participant à des projets de développement durable.
La rencontre lors d’une conférence à Kedge du directeur de l’ONG, Agrisud, le conduira pendant un an au Sénégal pour monter des missions de promotion et d’accompagnement des petits producteurs agricoles locaux. Maroc, Gambie, et Guinée feront partie de son parcours initiatique en matière de développement durable. Son désir d’entreprendre le rattrape. Il revient à Paris où il découvre toutes les ficelles de l’évènementiel professionnel dans la startup Evenium. Il y rencontre ses futurs associés, Morgan, et Rémi. Très consommateurs de MOOC (Massive Open Online Course) à l’époque, ils réalisent la valeur des services de partage de connaissance. Ils tombent par exemple sur les premières formations sur l’IA par un ponte de Stanford. Mais les MOOC sont denses, chronophages et exigent une trop grande disponibilité. Ce qui leur donne l’idée de créer des programmes de formations courts, des capsules de connaissance, dont la durée est calée sur les temps de trajets quotidiens.
Julien quitte son job et lance avec ses compères en 2015 Beedeez, une start-up experte en formation des professionnels du terrain. Leur mission est de faciliter la transmission des connaissances en proposant des solutions technologiques adaptées aux nouveaux enjeux du numérique et aux nouvelles préférences d’apprentissage des collaborateurs. Une réponse efficace aux contraintes de temps, d’engagement et de mobilité des équipes.
La start-up affiche une croissance annuelle proche de 50% depuis 2018 et compte déjà 150 clients et plus de 2M d’utilisateurs issus d’entreprises comme Orange, Engie, RATP, Vinci ou encore Leroy Merlin mais aussi de grandes ETI comme Etam, Promod ou Amorino. Déployé dans 40 pays, en 26 langues et avec près de 20% de ses utilisateurs à l’étranger, Beedeez a déjà un bon pied à l’international notamment dans le secteur de l’automobile et des télécommunications.
Fin 2023, Beedeez lève 8M€ auprès de Arkéa Capital, Wille Finance, et SWEN Capital. Suffisamment pour permettre à Julien Huelvan, adepte de demi-fond, de courir encore longtemps…
1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?
C’est une question que je me suis posée il y a trois ans, au moment de devenir l’heureux père de triplés. Je n’ai pas de modèle entrepreneurial dans ma famille, mais aussi loin que je puisse me rappeler j’ai toujours nourri cette envie de créer une entreprise. C’est certainement l’envie de construire qui m’a poussé à entreprendre. Se fixer un défi à relever, trouver une solution, en partant de rien, bâtir quelque chose qui va nous survivre, contribuer, laisser une trace. Et le faire en toute liberté, sans avoir de comptes à rendre : nous sommes partis de rien, sans rien demander à personne, sans lever de fonds, en autofinancement intégral. Avec un objectif initial qui était d’amener la boîte à 1 million en engrangeant rapidement un maximum de connaissances et d’expériences, et voir après ce que l’on fait. Une période extrêmement formatrice et une prise de risque assez grisante aussi.
2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?
Il est certainement possible de développer avec succès une entreprise dans laquelle seul le fondateur entreprend. Tout le monde n’a pas forcément la fibre entrepreneuriale. Ça peut être une question d’envie, de caractère, ou parfois de timing tout simplement.
Après ça n’est pas le cas chez nous. Et en même temps ça n’est pas non plus une exigence pour travailler chez nous. Nous avons 6 valeurs clés dans l’entreprise et l’entrepreneuriat n’en fait pas partie. Nous avons chez nous des personnes qui ont cet état d’esprit entrepreneurial du type : « je me saisis d’un sujet, je vais me mettre en risque, je vais mobiliser et fédérer autour du sujet ». Et de notre côté nous laissons la latitude nécessaire pour rendre les initiatives possibles. D’ailleurs certains, après avoir fait leurs armes chez Beedeez, sont partis monter leur boîte.
3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?
À l’échelle d’une entreprise c’est générer suffisamment de richesse pour être autonome. Et cette création de richesse ne peut pas être instantanée. J’ai toujours pensé que la vraie création de valeur ne peut pas être immédiate. Qu’il faut décorréler l’effort et le retour à court terme. Accepter de ne pas pouvoir récolter les fruits de son travail immédiatement.
La création de valeur dans le fond c’est l’impact de ce que l’on fait, ce que ça change dans la vie des gens, en quoi ça fait évoluer les choses dans le bon sens. Notre objectif avec nos solutions est d’aider nos utilisateurs à progresser, d’avoir un impact dans leur vie. C’est très gratifiant pour nous d’avoir des retours d’utilisateurs sur ce qu’ils ont réalisé en utilisant nos solutions. C’est d’ailleurs ce qui a guidé notre choix lors de notre levée vers des fonds orientés impact parmi tous ceux qui souhaitaient investir chez nous. Notre performance et notre progression en matière d’impact.
Et puis il y a la création de valeur portée par les membres de l’équipe en interne, illustrée par les valeurs de Beedeez telles que l’impact, l’engagement, ou encore l’envie d’apprendre : « Vous avez appris ou transmis quelque chose aujourd’hui ? C’est une bonne journée. Les 2 ? Une excellente journée ! »
4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?
Il y a eu un changement de perception plutôt positif ces dernières années en France à l’égard de l’entrepreneuriat. Lorsque je faisais mes études on voulait avant tout bosser pour les grandes entreprises et les grands cabinets. Aujourd’hui les diplômés de grandes écoles viennent bosser dans les startups.
a/ Construire plus de ponts avec les grands groupes et les entreprises publiques pour permettre aux startups françaises de grandir plus vite.
C’est encore trop compliqué pour les startups de travailler avec des grands groupes. Et pour nous en particulier, parfois surprenant de voir de grands groupes français choisir des solutions de learning produites par des startups américaines qui pourtant ne présentent pas plus de qualités et d’avantages que nos offres.
Incitations fiscales, simplification réglementaire, ou encore seuils minima de commandes à passer auprès des startups françaises pourraient être des leviers intéressants pour débloquer ces situations.
b/ Recentrer le Next40 sur des critères de rentabilité.
Éviter de retenir des sociétés uniquement sur des critères de valorisation liée à des levées de fonds, mais plutôt privilégier la rentabilité comme critère de sélection. Sortir du médiatique startup nation pour revenir aux fondamentaux économiques que sont la rentabilité et donc la pérennité en tant qu’étalons.
c/ Accélérer le développement des entreprises françaises en Europe.
Plus d’accompagnement, notamment par des agences spécialisées et des mesures spécifiques. Des incitations fiscales, avec par exemple, une taxation réduite sur le chiffre réalisé à l’extérieur, des facilités pour embaucher et rémunérer des forces commerciales dédiées, ou mutualiser de l’intelligence et de la connaissance marché et business, pourraient être des solutions.
d/ Former les entrepreneurs.
Je me suis autoformé comme beaucoup d’autres. Proposer des formations pratiques et immédiatement actionnables qui n’existent pas vraiment aujourd’hui.