Au fil des lectures : reçu 10/10
janvier 2024
« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)
Erwan Le Noan : L’obsession égalitaire, comment la lutte contre les inégalités produit de l’injustice
Éditions La Cité
C’est sans doute Tocqueville qui a le premier et le mieux décrit la passion française pour l’égalité. Il voyait dans l’égalité des droits la route tracée vers l’égalité des conditions qui conduirait au déclin : « je redoute bien moins pour les sociétés démocratiques, l’audace que la médiocrité des désirs ; ce qui me semble le plus à craindre, c’est que, au milieu des petites occupations incessantes de la vie privée, l’ambition ne perde son élan et sa grandeur » (De la démocratie en Amérique).
Le mérite d’Erwan Le Noan est de reprendre et poursuivre le sujet de l’égalité dans la culture politique française et de ses effets sur notre prospérité et sur notre paix civile. Loin du conformisme qui vante l’égalité (de quoi ?) comme une vertu cardinale de la République, l’auteur reprend les chiffres et décortique les concepts erronés qui circulent trop facilement.
Le premier est la haine des riches qui témoigne bien plus d’une jalousie que d’une critique économique sur les effets prétendument délétères du capitalisme. Il rappelle qu’il n’y a pas de prospérité sans liberté ; en tout cas aucun pays ni aucun système n’a pu amener la première durablement sans la seconde. Et que la propriété est consubstantielle à cette dernière. Par ailleurs, l’objet de la société doit-il être que les individus qui la constituent aient des existences toujours plus semblables ? Cela n’est pas envisageable sans administrer dans le détail les vies des citoyens et donc d’autoriser un pouvoir à décider de façon autoritaire ce qui est bon pour eux, et donc également de restreindre leurs libertés.
En France en particulier, les inégalités de conditions sont limitées et sont allées en se réduisant avec le développement économique et les politiques de redistribution de notre État Providence ; mais c’est le capitalisme qui a fait reculer le plus les inégalités par la réduction de la pauvreté. Le scandale des inégalités, s’il faut les qualifier ainsi, n’est pas la richesse mais le maintien de la pauvreté. Et c’est le capitalisme qui permet d’en sortir le plus grand nombre. La pauvreté était la condition commune jusqu’ à l’avènement de la révolution industrielle. Et là où elle ne s’est pas faite, la pauvreté absolue s’est maintenue.
Après la création de richesse, la redistribution permet de réduire les écarts de conditions : entre les 20% des français les plus riches et les 20% les plus pauvres le rapport des niveaux de vie est de 8,6. Mais la redistribution le réduit à 3,9 : elle augmente de 74% le niveau de vie moyen des 20% les plus modestes et diminue de 20% celui des 20% les plus gâtés. Et ces rapports, assez stables depuis trente ans en France, viennent anéantir le mythe de « l’explosion des inégalités » qui n’a en fait de réalité qu’entre les 1% et les 0,01% les plus riches… Mais il y a une réalité qui est celle de la très faible création de richesse depuis 25 ans dans notre pays, en absolu et en comparaison de notre voisin allemand par exemple. L’inspiration malthusienne fixant une quantité de travail fixe qu’il convient de répartir (retraites à 60 ans, cinquième semaine de congés, 35 heures) en est la cause.
Cette stagnation fige les conditions de progression sociale des individus. Ce qui ressort de la solidarité finit par être ressenti comme un sacrifice imposé. Et ceux qui bénéficient de cette solidarité n’en bénéficient pas assez pour saisir les opportunités de mobilité sociale qui se présentent. Les classes moyennes se paupérisent au profit de classes défavorisées qui ne progressent pas… Car l’État alloue des moyens toujours plus importants à des solutions qui échouent toujours davantage (cf. notre Éducation Nationale). Ces dépenses sont financées par une pression grandissante sur les classes moyennes qui n’y suffisent pas et qui se complète avec un endettement toujours croissant nourrissant un gaspillage qui est intouchable, chacun craignant de perdre le soutien dont il bénéficie. En luttant contre les inégalités au-delà du nécessaire, l’État bloque les mouvements naturels de transformation de la société.
Erwan Le Noan démontre de façon convaincante, avec des chiffres, avec des comparaisons géographiques et avec l’histoire comment l’obsession égalitaire rogne nos libertés. Et comment l’action qui en résulte contribue à l’appauvrissement général et à l’asservissement individuel. Au risque du chaos politique…