Analyse économique
décembre 2023
Des pertes des banques centrales sans réelles conséquences sur leur capacité d’action.
La publication des comptes 2022 de la banque centrale suédoise a fait état d’une perte de 80 Mds SEK, amenant les capitaux propres de la banque centrale en territoire négatif, et son gouverneur à réclamer une augmentation de capital. Une récente étude du FMI calcule que la BCE et les banques centrales européennes vont probablement devoir enregistrer 55 Mds EUR de pertes sur les exercices 2023 et 2025, effaçant potentiellement une partie du capital de certaines banques. La Banque d’Angleterre a publié une estimation de ses pertes à venir atteignant 150 Mds GBP sur dix ans, des pertes que le Trésor britannique s’est engagé à compenser. Les principales banques centrales du monde vont-elles donc toutes faire faillite?
Tout d’abord, il s’agit de bien comprendre l’origine de ces pertes. La première étape a été l’accroissement des bilans des banques centrales lorsqu’elles ont mis en place leurs opérations d’achats de titres, le quantitative easing. La deuxième étape a été l’augmentation des taux d’intérêts sur les deux dernières années dans le cadre de leur lutte contre l’inflation. En effet, lorsqu’elles ont fait l’acquisition de ces titres, elles les ont financés en augmentant les comptes de réserve des banques auxquelles elles les achetaient. À l’actif, elles détenaient donc des obligations offrant un rendement correspondant au taux d’intérêt de marché au moment de la transaction. Au passif, dans un contexte de taux courts nuls, voire négatifs, elles ne devaient pas payer d’intérêts sur les réserves créées. Le résultat a été des années fastes pour les banques centrales qui ont pu ainsi contribuer au budget des États. Entre 2015 et 2022, les transferts de la Banque de France au Trésor, via l’IS ou les dividendes a représenté 32 Mds EUR, soit environ 0,2-0,3% de PIB.
Mais en relevant les taux directeurs, les banques centrales ont aussi augmenté leur coût de financement, via le taux d’intérêt qu’elles doivent payer sur tout ou partie de leur réserve. Le taux de dépôt de la BCE est aujourd’hui de 4,0%. Depuis 2008, le taux des obligations à dix ans du Trésor Français n’a pas dépassé ce niveau. Il a même été négatif durant quelque temps, notamment après le COVID, alors que les opérations d’achat de titre avaient repris de plus belle. Un coût de financement supérieur aux revenus de ces actifs : pas besoin d’être un grand comptable pour comprendre l’origine de ces pertes.
Pourrait s’ajouter à cela un deuxième canal, via la baisse du prix de ces obligations achetées par les banques centrales. En effet, la hausse des taux d’intérêts a pour conséquence de faire baisser le prix des obligations. Aujourd’hui, le taux à dix ans de la France est légèrement inférieur à 3,0% mais entre 2015, date de début des achats de titres et mars 2022, date d’arrêt des achats, il a presque toujours été inférieur à 1,0%. Mais ces moins-values latentes ne seront réalisées que si les banques centrales cèdent leur titre avant leur échéance.
Fort heureusement pour elles, les banques centrales occupent une place à part dans l’univers économico-financier. En effet, leur statut fait que leur passif s’impose aux banques de leur juridiction. Une fois que les réserves ont été créées pour augmenter le bilan de la banque centrale, elles ne peuvent disparaître du système bancaire, sauf à ce que la banque centrale décide de céder une partie de ses actifs. La banque centrale décide aussi du taux de réserve obligatoire, c’est-à-dire qu’elle peut fixer le montant minimal de son passif que les banques commerciales sont obligées de détenir. Comme la banque centrale crée la monnaie, elle ne peut pas faire défaut. Ceci permet aux banques centrales de pouvoir continuer de fonctionner avec des capitaux propres éventuellement négatifs, comme le montrait un papier du FMI de 1997. Les banques centrales israélienne, chilienne et tchèque ont ainsi pu remplir leurs missions avec des capitaux propres négatifs. De même, les énormes interventions sur le change de la Banque Nationale Suisse ont pu l’amener à afficher des pertes importantes sans impact sur sa capacité à mener sa politique monétaire comme elle l’entend.
Les prévisions du FMI font par ailleurs état d’un retour à meilleure fortune assez rapide pour les banques centrales de l’Eurosystème, sous le double effet de la baisse à venir des taux courts et de la rotation des actifs détenus par la BCE, des obligations plus rémunératrices se substituant à celles arrivant à échéance.
L’action de la BCE et des autres banques centrales ne devraient donc pas être compliquée par l’affichage de pertes et la stabilité du système financier n’est en aucune manière menacée. Le principal actif des banques centrales reste leur crédibilité qui repose bien plus sur leur capacité à atteindre leur objectif d’inflation que sur le montant de leurs capitaux propres.