Il nous l'avait bien dit
février 2023
La vérité et les faits
En France particulièrement, mais pas seulement, les périodes électorales, avec leurs discours et leurs programmes, les réformes avec leurs oppositions, sont propices à la diffusion d’idées qui se nourrissent davantage de préjugés que de réalité, mais qui viennent conforter ceux qui les répandent dans leurs positions d’ordonnateurs de la morale publique et même privée. Le « débat » sur la réforme des retraites donne l’occasion de relire quelques indications de J-B Say au sujet de l’exigence de la connaissance des faits et de la supériorité de la réalité sur les systèmes abstraits.
« Mais sait-on bien tout ce qu’on doit entendre par ce mot fait, si souvent employé ? Il me semble qu’il désigne tout à la fois les choses qui existent et les choses qui arrivent ; les choses qui existent pour qu’elles puissent servir de bases à des raisonnements sûrs, il faut les voir telles qu’elles sont, sous toutes leurs faces, avec toutes leurs propriétés. Sans cela, croyant raisonner de la même chose, on pourrait discourir, sous le même nom de deux choses diverses.
Le second ordre des faits, les choses qui arrivent, consiste dans les phénomènes qui se manifestent lorsqu’on observe comment les choses se passent. C’est un fait que lorsqu’on expose les métaux à une certaine chaleur, ils deviennent fluides.
La manière dont les choses sont et dont les choses arrivent, constitue ce qu’on appelle la nature des choses ; et l’observation exacte de la nature des choses est l’unique fondement de toute vérité. De là naissent deux genres de sciences : les sciences qu’on peut nommer descriptives, qui consistent à nommer et à classer les choses, comme la botanique, et les sciences expérimentales, qui nous font connaître les actions réciproques que les choses exercent les unes sur les autres, ou en d’autres termes, la liaison des effets avec leurs causes ; telles sont la physique et la chimie.
L’économie, telle qu’on l’étudie à présent, est tout entière fondée sur des faits ; car la nature des choses est un fait, aussi bien que l’événement qui en résulte. Remarquez que ceux qui ont une mémoire nette et un jugement obscur, qui déclament contre les doctrines les plus solides, fruits d’une vaste expérience et d’un raisonnement sûr, qui crient au système chaque fois qu’on sort de leur routine, sont précisément ceux qui ont le plus de systèmes et qui les soutiennent avec l’opiniâtreté de la sottise, c’est-à-dire avec la crainte d’être convaincus, plutôt qu’avec le désir d’arriver au vrai. »
Traité d’économie politique — cinquième édition -1826