Il nous l'avait bien dit
juillet 2022
La Prospérité c’est l’émancipation et l’élévation de l’individu
Déjà publié en juillet 2020
Après un confinement qui a mis à mal nos libertés et sérieusement entamé notre prospérité nous vous proposons la lecture d’un extrait de Sociétal 2017 (Institut de l’Entreprise. Éditions Eyrolles) qui évoquait ces thèmes chers à Jean-Baptiste Say.
Il est amusant de remarquer qu’à l’exception – normale – de l’entreprise unipersonnelle, toutes les formes d’entreprises en droit français sont appelées « sociétés » : anonymes, à responsabilité limitée, en commandite, civile, coopérative, etc. Dans sa correspondance avec Say, Pierre-Samuel Dupont de Nemours cite François Quesnay : « Il n’est pas vrai que les hommes, en se réunissant en société, aient renoncé à une partie de leurs droits et de leur liberté pour s’assurer l’autre, mais au contraire ils ne se sont confédérés que pour étendre l’usage de leurs droits et se le garantir mutuellement et pour y gagner de tout point, non pour y rien perdre1. » Ce qui est vrai pour la société dans son ensemble est vrai pour l’entreprise. La liberté d’entreprendre n’est rien d’autre qu’une des dimensions de la liberté.
Et liberté d’entreprendre et liberté des échanges se trouvent étroitement mêlées : « Au milieu d’une libre concurrence, mieux un industrieux défend ses intérêts privés, et mieux il sert la fortune nationale. Toute interposition d’une autorité nuit au but qui est de produire, parce que nulle autorité ne peut s’y connaître aussi bien que les particuliers. Tout commandement est fatal parce qu’il ne peut jamais suppléer à l’intelligence des producteurs et qu’il gêne leurs mouvements qui sont les principaux moyens du succès. Le rôle utile du magistrat se borne à empêcher que les efforts de l’un ne soient une atteinte aux droits de l’autre. […] Toute autre police, toute autre influence ne saurait être exercée dans un bon but2. »
Jean-Baptiste Say souligne qu’un équilibre doit être trouvé. Si le « laisser faire, laisser passer » de Vincent de Gournay dénonce et entend contrer les effets funestes des règlements, des douanes et autres obstacles nuisant à la production, il reconnaît qu’ « il y a dans une industrie active des inconvénients comme il y en a dans tout. Si vous voulez absolument vous préserver de ce qu’elle a d’incommode, il faut savoir vous priver d’une partie de ses avantages. Si vous voulez jouir de tous ses avantages, il faut supporter ce qu’elle a d’incommode, en rendant toutefois les inconvénients supportables, par toutes les précautions, tout le soin que suggère la prudence3 ». On est donc bien loin de « l’ultralibéralisme », source de toutes les toxicités sociales et environnementales qu’invoquent systématiquement les critiques de la liberté d’entreprendre et d’échanger – liberté inhérente au capitalisme. Mais il ne s’agit pas non plus de s’en tenir à un principe de précaution, qui vient contrarier l’initiative et l’innovation avant même qu’elles ne soient à l’œuvre.
Il faut signaler ici qu’évidemment, Say est abolitionniste : il est impensable pour lui que l’esclave ne soit pas maître de ses talents, alors que ceux-ci appartiennent naturellement à celui qui en est pourvu. Ce défenseur des droits naturels condamne donc l’esclavage de son époque comme celui des époques révolues, système qui a permis « ces monstrueuses pyramides que le temps n’a pu renverser, et qui subsistent encore, comme des monuments éternels de l’imbécillité des nations et de la vanité des grands4 ».
La liberté, c’est aussi celle de choisir ses consommations : « Rien n’est plus ridicule qu’un gouvernement qui veut que l’on consomme de telle chose et non de telle autre. Car c’est se mêler de ce que l’on doit produire que de se mêler de ce qu’on doit consommer. L’unique règle raisonnable des producteurs se trouve dans les besoins des consommateurs5. » Lucide, Jean-Baptiste Say entend laisser l’individu libre aussi de définir ses propres besoins : « La vanité est quelquefois pour l’homme un besoin aussi impérieux que le pain. Lui seul est juge de l’importance que les choses ont pour lui et du besoin qu’il en a6. »
Cette liberté d’entreprendre, d’échanger et de produire, qui est un moyen indispensable de la prospérité, est également une fin. En effet, la prospérité permet l’élévation de l’individu et son émancipation. Optimiste, Say est convaincu que l’homme cesse d’être redoutable aux autres et nuisible à lui-même lorsqu’il atteint une aisance matérielle qui lui permet de développer ses facultés individuelles par l’instruction et l’expérience. Certes, pour Say, le bonheur ne saurait se confondre avec la richesse individuelle, mais il soutient que la prospérité collective en est la condition : « Les pays où les fortunes moyennes sont les plus nombreuses et les extrêmes rares, sont les plus heureux7. »
1 Lettre du 20 juin 1814. Œuvres Diverses 1848 p. 362
2 Cours complet d’économie politique 1828 t. 3, p. 274
3 Id. p. 279
4 Id. t.6, p. 46
5 Id. t. 2, p. 293
6 Id. t. 1, p. 166
7 Id. t. 2, p. 323