Il nous l'avait bien dit
avril 2015
« Il n’y a pas deux arithmétiques… »
« Quelquefois on veut établir une différence entre la morale publique et la morale privée. On consent que ceux qui gèrent les intérêts des nations sacrifient ce qui est honnête à ce qui est utile. Disons-le franchement, cette morale, trop commune et trop suivie jusqu’ici, est détestable. C’est elle qui, dans tous les temps, a attiré le plus de maux sur les nations. Même dans les rapports de peuple à peuple, il n’y a point de différence entre l’utile et l’honnête. Ce qui est honnête est au demeurant ce qu’il y a de plus utile. Les hommes qui se disent exclusivement de pratique, n’ont qu’une pratique de convention et une politique étroite. Leurs études se bornent à un petit nombre de faits, à une tradition bornée, qui n’embrasse qu’un petit nombre de combinaisons et de rapports, une diplomatie de bureau d’où il résulte que d’année en année, de siècle en siècle, on est perpétuellement replongé dans les mêmes embarras, et que les nations éprouvent toutes les mêmes malheurs.
L’honnête, même en politique, n’est pas l’opposé de l’utile bien entendu : c’est exactement la même chose. Ce qui est mauvais, ce qui a de mauvaises conséquences dans la morale privée est mauvais dans la morale publique, dans les relations de nation à nation, ou de gouvernement à nation. Il n’y a pas deux arithmétiques : une pour les grands nombres, l’autre pour les petits. »
Mélanges de morale (Edition 1848)