Analyse économique
décembre 2021
Qu’y a-t-il dans le panier de la ménagère ? Ou de la mesure des prix
Alors que l’inflation redevient un sujet d’actualité pour la presse et un sujet pressant pour les banques centrales, que représente-t-elle exactement ? Elle mesure l’augmentation, généralement sur une année, des prix. Mais tous les prix ne rentrent pas dans ce calcul.
En effet, les données d’inflation sont généralement mesurées à partir d’indices des prix à la consommation.
Cela veut dire que les prix mesurés le sont en fin de chaîne, au niveau du consommateur dans un magasin. On exclut donc les prix des biens intermédiaires mais on prend en compte les marges des distributeurs, de même que les taxes. L’augmentation ou la baisse de la TVA ou d’autres taxes va donc influer sur le niveau des prix. De même, le niveau des éventuelles promotions va jouer.
D’autre part, la consommation ne représente qu’une partie, certes généralement la plus grosse, du Produit Intérieur Brut, et il aurait été envisageable de prendre en compte également les prix de l’investissement, qu’il s’agisse des machines, des logiciels, de la construction ou encore ceux du commerce international. Concernant ces derniers, l’impact des prix à l’importation se retrouve in fine dans les prix domestiques et les prix à l’exportation n’ont que peu d’impact sur les conditions domestiques. La question aurait pu se poser davantage pour les prix de l’investissement mais l’expérience montre qu’en réalité, le niveau général des prix mesuré par le déflateur de la consommation et les prix à la consommation suivent des évolutions très proches (voir graphe ci-dessous).
Inflation sur un an
Pour reprendre la définition de l’INSEE, l’indice des prix à la consommation est donc « basé sur l’observation d’un panier fixe de biens et services, actualisé chaque année. Chaque produit est pondéré, dans l’indice global, proportionnellement à son poids dans la dépense de consommation des ménages. » Il existe diverses méthodologies pour calculer ce panier. Pour ce faire, l’INSEE relève 200 000 prix chaque mois dans près de 30 000 points de vente, physiques ou virtuels.
Poids des différentes catégories dans le panier de l’indice des prix à la consommation
Évidemment, le panier d’un célibataire parisien ne sera pas le même que celui d’une famille habitant en province et faisant tous ses déplacements en voiture. Ceci explique que le ressenti de l’inflation ne soit pas toujours le même. L’INSEE propose d’ailleurs sur son site un outil permettant de simuler son propre niveau d’inflation. D’une manière un peu similaire, Eurostat calcule des indices harmonisés pour comparer l’inflation entre les différents pays de l’Union Européenne.
Outre les différences de panier de consommation, d’autres facteurs peuvent expliquer l’écart entre le ressenti et l’inflation mesurée. Premièrement, ce panier est représentatif des achats de tous les ménages, mais tous les ménages ne font pas ces achats chaque année. L’âge moyen du parc automobile français est de près de 11 ans, donc les gens ne changent pas de voiture chaque année ! Inversement, les achats de nourriture ou d’essence sont faits au moins une fois par semaine. L’évolution relative des prix de ces catégories aura donc un impact très différent sur le sentiment de l’inflation.
C’est d’autant plus le cas si l’on prend en compte les ajustements de qualité auxquels procèdent les instituts statistiques pour tenir compte de l’amélioration qualitative des biens et services et du progrès. Schématiquement, si pour un montant constant de 1000 euros, il est possible d’acheter une année plus tard un ordinateur plus puissant de 10%, les instituts statistiques considèrent que le prix de ce bien a diminué de 10%. L’idée sous-jacente étant que si pour le même montant, le consommateur obtient un service meilleur, c’est que le prix unitaire a baissé. C’est ainsi que les catégories des biens électroniques ou de la communication ont eu des effets désinflationnistes même si les prix des téléphones effectivement vendus ou des forfaits n’ont pas baissé.
Dernier facteur pouvant expliquer la différence de ressenti : l’immobilier. En effets le coût direct du logement ne représente que 7% de l’indice des prix en France. Ceci s’explique par le fait que l’institut statistique ne prend en compte que les loyers payés par les locataires. L’achat d’un bien immobilier et la réalisation de gros travaux sont considérés comme des dépenses d’acquisition d’un actif améliorant le patrimoine des ménages et non comme de la consommation. D’autres pays ont choisi de prendre en compte le coût pour les propriétaires immobiliers. Aux États-Unis, un équivalent loyer est ainsi estimé pour les propriétaires qui vient ajouter aux 8% des loyers, 23% supplémentaires. Les données britanniques font autrement en intégrant le coût des prêts hypothécaires. Dans le cadre de sa revue de politique monétaire, la BCE a d’ailleurs décidé d’intégrer mieux le coût du logement dans les indices de prix.
Autant de raisons qui peuvent faire diverger le ressenti de l’inflation par les ménages de ce qui est mesuré et publié dans les données des instituts statistiques. Or le ressenti joue directement sur la confiance des ménages. Un facteur de complexité supplémentaire pour les banquiers centraux !