Parole d’entrepreneur
septembre 2021
Hélène de La Moureyre – Fondatrice de Bilum.fr
« Tu veux monter ta boîte ? Mais ma chérie, nous ne sommes pas des entrepreneurs dans la famille ! ». Telle est la réaction du père d’Hélène lorsqu’elle lui annonce sa décision, oubliant au passage que ses deux fils ont déjà sauté le pas…
Le chef de famille, neuropsychiatre à son compte, est un gros bosseur qui donne très tôt à ses enfants l’exemple de l’engagement professionnel à toutes épreuves.
La mère d’Hélène infirmière « s’arrête de travailler » pour s’occuper de ses 5 enfants, assurer la gestion du cabinet, gérer les travaux incessants de la grande maison familiale, et animer une association de femmes actives au foyer. 4 des 5 enfants héritent de cette envie d’autonomie et deviennent entrepreneurs ou professionnels indépendants.
Fidèle à l’univers médical familial, Hélène commence sa carrière en tant que commerciale dans les produits bio-pharma dans le nord. Elle s’ennuie vite. Elle a besoin de prendre l’air. Elle « fuit » à Londres. Elle saute sur le premier job disponible et anime un corner chez Harrod’s.
Après avoir appris à partir le sac au dos, sans filet, en se débrouillant seule, elle revient à Lille avec quelques idées et déjà l’envie d’entreprendre.
L’habillage publicitaire des bus londoniens l’inspire. Hélène tente de lancer une offre à Lille avant de réaliser qu’un leader parisien creuse déjà ce sillon avec succès. Elle décide de le rejoindre. Elle passe 5 ans chez Magic Touch aux côtés d’un créateur charismatique qui déploie en France la technologie 3M mise au point lors des Jeux d’Atlanta. L’occasion de réaliser l’habillage publicitaire de l’immeuble TF1, des avions Air France, et du bus de nos Bleus blacks-blancs-beurs victorieux lors de la Coupe du Monde 98. Hélène part ensuite mettre cette expérience à profit à la tête d’une équipe chez Carat dans l’univers de l’évènementiel, pendant 3 ans.
En 2005, Hélène fonde Bilum, spécialiste français de l’upcycling appliqué à la confection de sacs et accessoires.
L’entreprise compte aujourd’hui en plus d’une dizaine de salariés, une quarantaine de personnes qui participent au processus de production 100% made in Fance au sein de son atelier parisien et de ses 7 ateliers partenaires (4 d’entre eux sont des ÉSAT et EA : Établissement et Service d’Aide par le travail et Entreprise adaptée aux personnes handicapées). Bilum, écoresponsable de bout en bout !
De la récupération de matières insolites (airbags, ceintures de sécurité, housses de siège de trains ou d’avion, toiles de bateaux ou encore gilets de sauvetage) et de leur transformation jusqu’au produit final.
Plus de 250 000 pièces originales ont déjà été confectionnées, à partir d’une vingtaine de matières récupérées, pour un chiffre d’affaires de près de 1 million d’euros.
Bilum est positionnée à la fois en B2B (en confectionnant l’héritage des marques à travers leurs propres matières pour plus de 150 sociétés et institutions clients) et en B2C via bilum.fr
1) Pourquoi être devenue entrepreneuse ?
L’étape Carat m’a vidée. Et en même temps convaincue de devenir mon propre patron, d’avancer à mon rythme en créant quelque chose qui n’existait pas.
Et puis j’en avais assez de la hiérarchie et du fonctionnement pyramidal des grandes organisations. J’avais besoin d’autonomie, de liberté et de joie dans mon métier. Je ne voulais plus jamais être bridée dans ma démarche.
Le repreneur de Repetto m’avait beaucoup inspirée à l’époque où je me suis lancée.
Jean-Marc Gaucher voyait son manque de connaissance technique dans la production des souliers de danse comme un avantage lui permettant d’innover en s’affranchissant des limites traditionnelles. Ma propre méconnaissance des contraintes de production m’a permis aussi de créer et de réaliser des produits totalement nouveaux en sortant des sentiers battus. J’adore l’agilité qu’une petite entreprise permet de développer.
Et puis transformer et donner une deuxième vie à ces toiles publicitaires que j’avais vendues par milliers pendant des années était devenu une évidence pour moi. Et en plus en dessinant mes propres sacs et en découvrant ce nouvel univers fascinant de l’artisanat et du travail manuel.
La joie retrouvée.
2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?
J’ai pu prendre le temps en 15 ans de réunir une équipe formidable autour de moi. Alex à la production, Stéphanie à la confection ou Marine au commercial apportent tous des idées neuves en permanence et sont finalement chacun entrepreneur dans leurs métiers respectifs. Certains stagiaires qui sont passés chez Bilum nous ont apporté des idées que nous utilisons encore aujourd’hui.
Nous sommes dans un métier d’innovation. Le métier de l’upcycling est nouveau et les références n’existent pas. Lorsqu’il s’agit de mettre en place un processus de production ou une nouvelle organisation de l’atelier, ou encore en termes de prospection, on part de rien. La confiance que je leur accorde est souvent récompensée par des initiatives très pertinentes dans ces domaines. Je suis impressionnée par la capacité des jeunes générations à entreprendre.
Donc non, l’entrepreneur n’est pas le seul à entreprendre. La différence entre l’entrepreneur et les autres se résume surtout à la prise de risque financier.
3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?
Je n’ai jamais pensé à l’argent quand je me suis lancée.
Pour moi créer de la valeur c’est apporter à la société-entreprise ou à la société dans son ensemble, de nouvelles richesses. Et aujourd’hui on ne peut parler de création de valeur sans parler d’impact social, sociétal et environnemental.
Cette richesse peut être humaine et sociale, au travers de l’emploi, de la formation, de l’élévation. Mais aussi au travers de l’insertion de ceux qui sont éloignés de l’emploi traditionnel et qui peuvent contribuer de manière unique à la création de richesse.
Il faut savoir que pour 1 emploi dans l’industrie d’élimination de déchets on en crée 10 dans le recyclage et 100 dans les activités liées à la réduction des déchets. Un rapport de 2014 du Bureau Européen de l’Environnement établissait que l’on pouvait créer jusqu’à 850 000 emplois dans les prochaines années en développant le remploi, le recyclage et la réutilisation, ce qui reviendrait à donner un emploi à un jeune sur six aujourd’hui au chômage en Europe (Flore Berlinger – TEDx Toulouse. Mai 2014).
La création de valeur vient aussi des produits ou des services apportés grâce à de nouvelles façons de faire qui permettent de repousser les limites du système existant. Avec Bilum nous sommes au cœur de ce nouveau processus de création de valeur en recyclant, en évitant la pollution liée à la production des matériaux, et à leur destruction, et on évite de ponctionner de nouvelles matières premières.
Un blouson de la gendarmerie nationale en goretex ou un blouson de chantier ne sont pas recyclables. Nous upcyclons ces matériaux en réalisant de nouveaux produits tout en préservant des ressources naturelles. C’est bien pour moi un processus de création de valeur.
4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?
Inciter plus de professionnels à entreprendre en allégeant la prise de risque.
Pouvoir toucher le chômage pendant plus de 2 ans sans me payer sur ma boîte m’a beaucoup aidé au départ. Mais une fois lancé, l’entrepreneur ne dispose plus de couverture. Alors qu’il est lui-même créateur d’emplois. Pourquoi ne pas reconnaître ce rôle et accompagner l’entrepreneur en lui offrant une garantie qui pourrait d’ailleurs être liée au nombre d’emplois qu’il crée ?
Moduler les charges en fonction de la taille et des moyens des entreprises.
Ne pourrait-on pas, par exemple, moduler les taux en fonction de la taille, de l’implantation, de l’impact social et environnemental de l’entreprise ?
Les charges que nous devons payer pour une entreprise comme la nôtre sont bien trop lourdes. Ces charges sont d’ailleurs un obstacle majeur dans la fluidité des embauches et des débauches.
Mettre en place la TVA circulaire.
Pour les entreprises proposant des produits éco-conçus à faible externalité négative, alors qu’elles sont aujourd’hui soumises au même taux de TVA que celui appliqué aux produits importés de Chine. La perte de recette fiscale induite par cette baisse de TVA pourrait être largement compensée par la diminution des coûts publics résultant de la réduction des préjudices pesant sur la collectivité : pollution, santé, ressources.