Au fil des lectures : reçu 10/10
avril 2021
« Une vérité appartient, non pas au premier qui la dit, mais au premier qui la prouve. » (traité 1ère ed.)
Mathieu Laine : Infantilisation –
Cet État nounou qui nous veut du bien – Presses de la cité
Dans ce bref et percutant essai, Mathieu Laine ne fait pas de la pandémie la cause principale du développement de la bureaucratie, particulièrement spectaculaire depuis plus d’un an. Cette crise nous permet en revanche d’en constater l’étendue et la concentration !
Les phases ubuesques de l’action publique auxquelles nous avons pu assister ou qui nous ont été imposées, comme ces fameuses attestations et autres aberrations, n’ont fait que confirmer la forme d’ascendant que l’État se donne sur le citoyen.
Le mal n’est pas conjoncturel, il est à l’œuvre depuis longtemps et se diffuse dans toutes les activités économiques et sociales. Examiné isolément, chaque renoncement adopté pour notre bien paraît une évidence légitime. Mais si l’on prend de la distance et que l’on voit jusqu’où la bureaucratie s’immisce dans nos vies, un sentiment d’étouffement nous saisit qui peut conduire à la révolte.
Quelle est l’origine de ce phénomène ? Il résulte en premier lieu d’une attente croissante de la population qui exige des pouvoirs publics toujours plus de sécurité, fût-ce au prix d’une contraction des libertés. L’État n’est bien sûr pas sans responsabilité dans le développement de cette attente, notamment en entretenant la peur, l’état de sidération, comme lors des attentats de 2015 ou de la pandémie, trouvant là un prétexte pour instaurer des réglementations exceptionnelles qui durent. S’ajoute un précautionnisme qui n’est pas nouveau : il a vu le jour en 2005, avec l’introduction du principe de précaution dans notre constitution et la promesse illusoire d’un risque zéro. L’individu ainsi pris en charge, désengagé, déresponsabilisé, finalement indifférent, désapprend la liberté. Le risque évidemment est qu’à faire naître des espérances on suscite des déceptions et on provoque le dégagisme.
En second lieu, cette société victimaire, plaintive et geignarde a en face d’elle un État qui croît de façon autonome, en se nourrissant de la complexité, des réglementations et des contrôles. Ceux-ci ont un coût qui s’ajoute à celui de l’inefficience d’une partie de l’action publique. Cette croissance étatique reflète aussi l’ambition de croissance naturelle de l’homme qui, au sortir des Lumières, veut se déplacer et s’élever au-dessus de sa condition : « Tout homme tend à aller au bout de son pouvoir » écrit Thucydide.
Avec cette apparente bienveillance pour justifier sa croissance, le pouvoir bureaucrate inflige au citoyen de façon imperceptible une diminution continue de ses responsabilités et finit par l’asservir doucement. Mais faire croire qu’on peut institutionnaliser la fraternité, l’amour, la solidarité est une illusion dangereuse !
L’importance des dépenses publiques a pour principe justificatif que l’État et ses agents savent mieux dépenser l’argent que ceux qui l’ont gagné. Le creusement de la dette publique est aussi le témoignage de cette inflation de la sphère étatique, qui, pourtant, semble impuissante à résoudre les problèmes et déploie de nouveaux moyens sur de nouveaux sujets sans réussir sur ceux qu’elle néglige désormais. La pandémie aura ainsi cristallisé les faiblesses structurelles, bien dissimulées sous le « manque de moyens » de l’hôpital public, de l’éducation nationale, des transports publics, des banlieues, de la poste, etc.
Face à cela, écrit Laine, il faut affirmer et défendre le primat de la liberté : la règle doit être conçue pour contenir l’État, pas le citoyen. La prospérité n’est pas contradictoire avec un État aux prérogatives larges, y compris sociales, à condition qu’il soit agile, efficace et n’empiète pas sur les libertés. Pour cela, l’État et ses agents doivent avoir des obligations de résultat et pas seulement des moyens. Mais cela ne figure dans aucun programme politique…
C’est une erreur conceptuelle d’avoir, comme le Ministre de l’Économie lui-même, opposé la vie à l’économie. Car l’économie c’est aussi la vie, comme la culture, l’éducation, le progrès scientifique, l’échange ou toute interaction sociale. L’économie fait partie de la vie. Sacrifier l’économie, par la bureaucratie bienveillante ou par le « quoiqu’il en coûte », c’est très certainement affaiblir la vie.