Parole d’entrepreneur

septembre 2019

Norbert Fradin Fradin SAS

norbertNorbert Fradin, est une figure économique et culturelle emblématique de Bordeaux et sa région.
Promoteur immobilier à succès, particulièrement impliqué dans la rénovation récente du quartier des bassins à flot, il est aussi amoureux du patrimoine régional et passionné de culture et d’histoire.
Une passion qu’il cherche à partager, avec l’acquisition et l’ouverture au public de plusieurs sites médiévaux de la région, la conception et l’ouverture récente du superbe Musée Mer Marine, la rénovation de l’ancien siège de la Caisse d’Épargne à Mériadeck, et la poursuite de son projet d’aquarium rive droite.
Né en Charente-Maritime, entre Royan et Jonzac, son père était maçon et sa mère fonctionnaire. Il commence sa carrière dans un cabinet immobilier et monte très vite sa propre affaire de promotion en construisant de petits immeubles collectifs. C’est dans la rénovation de biens anciens et dans la construction de logements étudiants que son entreprise se développe, profitant des opportunités des années 80 et du rebond urbain de Bordeaux de 1995 à 2000. Aujourd’hui ses trois enfants travaillent avec lui.
Amateur d’art, Norbert Fradin collectionne les antiquités mais aussi les maquettes de bateaux et de voitures de course dont il demeure un amateur, avec notamment six tours de France auto à son actif.
Norbert Fradin fait partie de ces entrepreneurs, bâtisseurs insatiables, toujours prêt à démarrer un nouveau projet professionnel ou personnel.

1) Pourquoi être devenu entrepreneur ?

Par hasard. Comme tout gamin, j’avais des rêves. Je voulais faire l’école navale. Et puis finalement après un baccalauréat que j’ai passé en fin de première, en candidat libre, j’ai choisi des études de droit. Très vite la vie réelle m’a rappelé. J’ai été père très jeune, à 18 ans et demi. Partant de là je me suis dit « mon garçon, il faut que tu assumes ça ». Alors, tout en poursuivant mes études, j’ai commencé à travailler dans un cabinet immobilier. C’est le hasard. Ça aurait pu être tout autre chose. Quand j’ai fini mes études de droit, je me suis dit que finalement ce métier était plutôt aimable, que l’acte consistant à loger des gens était plutôt symboliquement fort, et puis ça me plaisait. Et donc j’ai continué à faire de l’immobilier en créant ma boîte.
Mon état d’esprit un peu trop électron libre m’a poussé à entreprendre. Je me sentais mieux à initier moi-même mon action tout simplement. Je ne me suis jamais posé de questions. J’ai directement créé ma propre activité. La vie nous propose d’emprunter des carrefours. On prend un carrefour, on prend une direction, on peut bifurquer ou continuer tout droit. J’ai pu penser parfois à ce que j’aurais pu faire d’autre mais sans jamais nourrir le moindre regret. J’aurais surement pu faire autre chose, pourquoi pas même dans le sport. J’ai pratiqué des sports. J’aurais certainement été un mauvais voileux mais surement passionné. On n’a pas forcément les talents de ses passions. Les métiers de l’immobilier sont des métiers dans lesquels on est obligé de se renouveler en permanence. Rien n’est jamais acquis. Chaque fois que l’on monte un nouveau programme, c’est une action nouvelle, une création. Il n’y a pas de rente de situation. Ça marche, ça ne marche pas, c’est souvent difficile. En permanence on recrée des choses. Il faut essayer de ne pas trop se tromper.

2) Le chef d’entreprise est-il le seul à entreprendre ?

À moins d’être bien entouré, le chef d’entreprise n’ira pas loin. Il est là pour avoir des idées, lancer des actions, promouvoir des stratégies, et parfois mettre les mains dans le cambouis. Pour moi, la vraie réalité d’une entreprise c’est l’échange permanent. Je nourris des échanges constants avec mes collaborateurs, on discute beaucoup, je suis partisan des réunions informelles et des discussions ouvertes. Après avoir écouté, c’est effectivement au chef d’entreprise de faire les choix. Il m’est souvent arrivé de m’inspirer de ce que des collaborateurs ou des personnes extérieures ont pu partager avec moi. On ne sait jamais tout. Comme le chantait Gabin « je sais, je sais…je sais qu’on ne sait jamais ». C’est bien ce qui fait la force et l’intérêt d’une action quelle qu’elle soit, on apprend tout le temps, on s’inspire souvent d’autres personnes, on s’enrichit de tout ce que les autres peuvent nous apporter, y compris au sein de sa propre entreprise, de son propre staff, et en ce qui me concerne, de sa famille. Mais quand la décision doit être prise il revient au chef d’entreprise de la prendre. Les idées et les initiatives partent de moi mais lorsqu’on lance la réalisation d’un projet tel que le Musée Mer Marine de Bordeaux, tout le monde a son mot à dire et on avance en meute.

3) Pour vous, qu’est-ce que la création de valeur ?

Pour moi la création de valeur n’est pas que financière. Il est sûr que dans la marche d’une entreprise, il faut gagner de l’argent sinon rien n’est possible. Mais on ne fait pas les choses uniquement pour gagner de l’argent. Dans l’immobilier on essaye de faire les choses le mieux possible alors que les activités de construction sont quand même de plus en plus compliquées. On paye un peu l’absence de politique de formation professionnelle qui dure depuis 40 ans en France tous bords politiques confondus. Le fait que les familles refusent de voir leurs enfants travailler de leurs mains. Que les ouvriers issus du baby-boom partis à la retraite sont remplacés par une main d’œuvre peu qualifiée ce qui rend les choses plus compliquées.
Pour moi gagner de l’argent n’est pas une fin en soi. Nous sommes tous « de passage ». On n’a pas besoin d’amasser des sommes considérables pour vivre. L’argent que je gagne me permet de continuer à investir dans mes activités – nous sommes dans des métiers où c’est essentiel pour continuer à tourner – et à investir dans des activités qui me tiennent personnellement à cœur, qui me font plaisir, mais qui peuvent aussi servir aux autres. C’est ce que nous faisons en investissant dans des lieus médiévaux, patrimoniaux, dont la gestion est confiée à des associations qui en assurent l’accès au plus grand nombre, comme le château de Villebois-Lavalette en Charentes, ou le Moulin de Porchère à Saint Seurin sur l’Ile. Nourrissant ainsi cette vision de ce que le patrimoine peut amener au public notamment en matière d’éducation.
C’est bien l’activité de notre entreprise qui m’a permis de créer le Musée Mer Marine et de créer de la valeur pour la communauté. C’est important aussi de renvoyer une image un peu différente de la promotion immobilière avec une société qui développe des initiatives culturelles. Nos choix de projets sont souvent guidés par des considérations autres que financières.

4) Quelles sont les trois ou quatre mesures à prendre pour améliorer
le développement des entreprises françaises ?

Former
Il faut que nos jeunes bénéficient dès le départ d’une formation généraliste solide qui les aidera à faire les choix importants d’orientation et de formation le moment venu. On a un peu perdu ça et c’est dommage. Les entreprises ont aussi un rôle et un devoir en matière de formation, notamment au travers des stages et des apprentissages. Leurs premières expériences doivent permettre aux jeunes de mettre leur enseignement en perspective avec la réalité de l’entreprise. Comprendre son environnement changeant auquel elle doit s’adapter en permanence en acceptant de se remettre en question. Rien n’est jamais acquis. On doit garder ses sens en éveil, son esprit ouvert, et apprendre de chaque situation. Proposer cet apprentissage est aussi l’une des missions clés des entrepreneurs.

Déréglementer
Je vais enfoncer des portes ouvertes, mais il faut arrêter cet excès normatif incroyable provoquant trop souvent des situations aberrantes. C’est Kafka.
Les spécialistes, les bureaux de contrôle, ne savent ou ne comprennent parfois plus eux-mêmes quelles sont les bonnes normes à appliquer. On se débat dans cette superposition de normes créées les unes après les autres par tous ceux qui veulent marquer de leur empreinte leur passage aux affaires. On veut le bonheur des gens malgré eux. On crée des usines à gaz.
Si on devait faire le bilan carbone de ce qu’il faut parfois faire, organiser, produire pour économiser quelques kilowatt/h de consommation électrique on se rendrait compte que l’on marche sur la tête.

On met en place des réglementations qui ne vont dans le sens ni des économies d’énergie, ni de la simplification, et qui vont au contraire dans le sens du renchérissement du coût de production, dans mon métier comme dans de nombreux autres. Au détriment de la compétitivité de nos entreprises et du portefeuille des consommateurs.
En 1995 on construisait un immeuble de 100 logements en 10 mois. Aujourd’hui il faut 2 ans. Quand un bureau de contrôle mettait 1 journée à prendre une décision, il met aujourd’hui 8 jours. Avec l’effet domino que vous pouvez imaginer sur le reste du chantier. Trop de normes, trop de temps, trop de coûts. Avec l’empilement des normes, des expertises obligatoires, des démarches administratives sans fin, notre métier doit faire face aujourd’hui à une incroyable complexité.

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