Analyse économique
janvier 2015
Rentes et corporations : rapports Attali, Camdessus, Pébereau… Armand-Rueff
La préparation de la loi Macron a vu fleurir les références au rapport Armand-Rueff de 1960. A l’approche de l’examen du projet de loi par le parlement, la relecture de ce rapport sur « les situations de faits ou de droit qui constituent d’une manière injustifiée un obstacle à l’expansion de l’économie » est riche d’enseignements, pas tant sur le recensement des blocages qu’il fait que par trois intuitions sur les raisons profondes de ces blocages.
Sur le premier aspect, on connait bien les leçons du rapport : ces blocages peuvent concerner directement le système économique, comme par exemple les restrictions à la concurrence, les limitations d’accès à certaines professions, le temps de travail. Sont également recensées toutes les distorsions de coût et de prix.
Tout ceci est connu. Trois intuitions nous semblent l’être moins. Premièrement, les blocages économiques s’accumulent dans le temps par la force des choses. Un système économique a toujours tendance à créer de la rigidité : au fil des péripéties de l’histoire, des mesures sont prises pour répondre aux enjeux économiques d’un moment donné, ou sous l’influence de certains corporatismes. Comme le note le rapport, « à l’époque où elles sont intervenues, elles étaient le plus souvent justifiées, ou tout au moins explicables. » Le problème est que ces mesures peuvent se révéler tout à fait contre-productives dans d’autres circonstances économiques mais elles sont rarement supprimées.
Deuxième intuition, les rigidités entrainent des déséquilibres sectoriels qui se renforcent en empêchant les mouvements de réallocation des ressources, l’adaptation de l’économie à son environnement : les inefficiences d’un secteur donné pénalisent donc l’ensemble des secteurs. Comme le rappelait un rapport daté de septembre de France Stratégie, la faible compétitivité de l’économie française s’explique en grande partie par l’évolution des coûts dans les secteurs non-concurrentiels. La rente d’un secteur est toujours payée par les autres !
Troisième intuition : le poids des mentalités et des comportements indifférents et hostiles au changement. Ils sont à la fois cause et conséquence des rigidités. Pour les auteurs du rapport, elles trouvent leurs sources dans le poids du passé, la force des groupes d’intérêts, la conscience insuffisante des réalités. Ce dernier point est renforcé par une information et une formation insuffisantes. « Trop souvent, les principes financiers les moins discutables sont méconnus. En matière monétaire et fiscale, fleurissent les illusions et les mythes. » Cinquante-cinq ans plus tard, cette phrase a-t-elle perdu de son actualité ?
Il suffit de penser au poids symbolique des Trente Glorieuses, véritable « paradis perdu » de l’imaginaire politique français : l’objectif de toute la politique économique semblant être de les retrouver, sans tenir compte du fait que l’organisation de l’activité économique, la manière de produire, de vendre, d’employer les ressources n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient à l’époque. On cherche à répondre aux problèmes d’aujourd’hui par les solutions d’hier.
Premier sur l’étagère des rapports qui décrivent de manière souvent très juste les problèmes de l’économie Française (rapports Attali, Camdessus, Pébereau, travaux de la Cour des Comptes…), le rapport Armand-Rueff nous rappelle que l’impératif de la réforme car « de telles situations [les rigidités] encouragent une mentalité malthusienne et protectionniste, qui constitue un obstacle majeur aux desseins novateurs et à l’acceptation des risques. Or l’innovation et l’acceptation des risques sont nécessaires à la croissance économique. »
Et notre cher Jean-Baptiste Say aurait pu signer tous ces rapports :
« La corporation est intéressée à écarter autant de concurrents qu’elle se peut et surtout ceux qui, par leur génie et leur activité, pourraient surpasser leurs confrères. Les lieux où les arts industriels font le plus de progrès sont ceux où tout homme peut librement exercer toutes les industries. »
(Catéchisme d’Economie Politique 1815).