Il nous l'avait bien dit
janvier 2018
Les lois économiques, les connaître, les respecter.
Le 16 mars 1831, Jean-Baptiste Say est nommé professeur au Collège de France qui crée à cette occasion la première chaire d’Économie politique. Quelques fragments de son discours d’ouverture pour nous rappeler que pour être bien comprise, l’économie exige de la discipline et que pour être bien conduite elle exige de la vertu. Et un écho à notre rubrique économique du mois : l’économie est-elle une science ?
« Une société politique, une nation, est une réunion de familles liées par des intérêts communs, par des convenances géographiques, par les mêmes lois. Dans le mot de lois, il faut comprendre toutes les obligations, même celles qui ne sont imposées que par l’usage, auxquelles on est à quelque titre que ce soit, dans la nécessité de se soumettre. De ces lois les unes sont imposées par la nature des choses, les autres par une législation positive.
Les lois politiques sont celles qui règlent les obligations réciproques des citoyens et du gouvernement ; les lois civiles qui déterminent les obligations des citoyens entre eux ; les lois économiques qui font connaître les conditions naturelles ou de convention, au moyen desquelles nous pouvons jouir des biens dont l’homme fait usage ; et d’où dépendent l’entretien, la continuation, le bien-être des familles et de la société. Toutes ces lois peuvent être l’objet d’études spéciales, qui en rendent la connaissance plus parfaite, plus complète. Les lois économiques sont souvent tout à la fois naturelles ou positives et conventionnelles. La science a soin d’avertir sous quels rapports elles participent de l’une ou de l’autre nature.
Les biens que l’on peut aussi appeler nos richesses, nous sont soit donnés par la nature, comme nos facultés naturelles, la santé, la lumière du soleil ; soit par les efforts que nous sommes obligés de faire pour les obtenir, efforts qui constituent la production.
Cette production a pour principe, pour fondement essentiel, un travail dirigé par l’intelligence, que nous avons nommé industrie. L’intelligence et le travail ne suffisent pas pour que l’homme obtienne les biens qui contribuent à son existence et à celle de la société. Des instruments sont indispensables pour l’exercice de l’industrie. Ces instruments consistent soit en des capitaux, qui sont de création humaine, soit en des instruments donnés par la nature.
À qui sommes-nous redevables de nos facultés industrielles ? En partie à la magnificence de la nature, qui nous a donné une certaine intelligence, des organes, des yeux, des doigts, une force musculaire, etc. et en partie à nous-mêmes qui avons acquis par nos soins, par nos efforts, le talent, l’art d’employer avec succès nos facultés naturelles. (…)
L’Économie politique a pour objet de faire bien comprendre ce mouvement (la production) et de tirer parti de cette connaissance pour qu’il s’exécute avec le plus d’avantages qu’il est possible et le moins de sacrifices qu’il se peut ; à diminuer la somme des maux et augmenter celle des biens.
Pour parvenir à ce double résultat, on ne fait plus comme dans les siècles précédents, des systèmes, des plans, des projets. On étudie par l’analyse, par l’observation, par l’expérience, ce que sont les choses, leur nature, leurs causes et leurs résultats et par ce moyen on découvre quels sont les maux que l’on peut diminuer, quels sont les biens que l’on peut augmenter. C’est là ce qui constitue l’Économie politique moderne. C’est là ce qui en fait une science, car l’analyse, l’expérience, la connaissance de la nature des choses, de la manière dont elles se comportent, peuvent être l’objet d’une étude ; et il faudrait être insensé pour ne pas voir ce que cette étude a pour nous d’important, de méconnaitre l’influence qu’elle doit avoir sur le sort de tous.
(…) Il faut se pénétrer des causes qui font le déclin ou la prospérité des États : on est confus de voir que la science qui nous occupe, ne soit plus généralement cultivée, et qu’on soit exposé chaque jour à entendre un langage qui suppose l’ignorance de ses premiers éléments, même dans les lieux ou se préparent et s’exécutent les mesures qui ont pour but le plus grand bien du pays.
Les gens qui ont à cœur le bien et la prospérité de leur pays sentent enfin la nécessité de favoriser les progrès de l’Économie politique véritable ; de celle qui, dégagée de tout esprit de système, ne se fonde que sur des faits incontestables et des raisonnements rigoureux.
Ainsi par exemple, lorsqu’on est habile, non seulement on proportionne les dépenses publiques à l’avantage qui doit en résulter pour le public qui en fait les frais, mais on économise tout développement inutile de puissance ; parce que toute puissance employée inutilement est tout au moins une perte de forces, de moyens, et de plus une perte morale. »
In Œuvres diverses. Edition 1848. P163 et suivantes.