Analyse économique
janvier 2018
L’économie est-elle une science ?
Il est parfois de bon ton de considérer que l’économie ne doit pas être examinée comme une science, car elle est en fait le produit de rapports politiques qui témoignent de la domination de facteurs ou de groupes humains sur d’autres. Il est donc possible d’être un économiste « atterré », de donner des anti-leçons d’économie (Bernard Maris, assassiné il y a trois ans à Charlie, certainement pas pour ses opinions économiques aussi erronées puissent-elles être), ce qui n’est pas nouveau puisque « l’antiéconomique » de Jacques Attali remonte à 1980. Bien souvent en se drapant de morale, ces thèses contestent le caractère scientifique de l’étude économique.
Il est vrai qu’avec les traitements statistiques que permettent les ordinateurs depuis plus de cinquante ans, l’économie comme d’autres sciences sociales, donne une place apparemment très importante au « calculus » qui peut lui donner l’apparence d’une science physique ou mathématique, donc d’une science exacte, ce qui nourrit la contestation de certains qui lui reprochent de légitimer un sujet politique sous la fausse couverture d’un savoir scientifique. Ce qui justifie le programme d’autres (souvent les mêmes) de sortir du capitalisme et de s’affranchir des règles qui ont permis le développement de la prospérité, sur la base des effets toxiques de celui-là.
Mais là n’est pas l’important, car une science ne se définit pas par son intensité en « calculus ». La science économique telle que la conçoit Jean-Baptiste Say et telle qu’elle doit être comprise selon lui, est bien un ensemble de connaissances, caractérisées par un objet et une méthode déterminés, et fondées sur des relations objectives et vérifiables. L’intention scientifique se vérifie bien : connaître pour comprendre afin de prévoir et d’agir en conséquence.
Selon Karl Popper (1902-1994), la science n’est pas une accumulation de vérités, mais un ensemble de propositions qui n’ont pas été démenties. Évidemment, ces propositions pour pouvoir être démenties doivent résulter de connaissances et de raisonnements qui pourront s’opposer à d’autres et ne pas être seulement des affirmations de nature métaphysique ou idéologique (la logique d’une seule idée, selon Hannah Arendt).
Par rapport à d’autres sciences, il est vrai que l’expérimentation est impossible pour l’économiste, ce qui peut expliquer le goût et le développement excessif de la modélisation. Pour autant, en l’absence d’expérimentation par le scientifique lui-même, la connaissance et l’analyse des comportements économiques des agents et surtout des politiques économiques sont riches d’enseignements : l’effet sur les ménages de leur surendettement ou des politiques « bolivariennes » du Venezuela viennent bien confirmer certaines règles économiques de base.
Également on pourrait reprocher à cette science son caractère faiblement prédictif : au top du cycle économique de 2007 aucun économiste n’a prévu ni annoncé la récession de 2008-2009, pourtant la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale. Fait-on le procès de la géologie et des géologues qui sont incapables de prévoir les tremblements de terre ? Non, car une science ne se réduit pas à son pouvoir prédictif général. La zoologie, par exemple, n’en est guère dotée. Comme l’économie permet d’annoncer la faillite si la production de cash-flow est insuffisante pour rembourser les dettes. Mais elle ne prévoit pas à quel moment les créanciers vont cesser de faire confiance et provoquer la crise de liquidité du débiteur. Pour autant, le comportement des créanciers mérite un examen, car leur comportement répond à des règles économiques, mais aussi psychologiques.
Trop de calculs, pas assez de justes prévisions ne doivent pas conduire à cesser d’en faire ni par ce prétexte à ignorer les lois qui fondent l’économie et qui doivent être bien enseignées. Malgré leur faible capacité à l’expérimentation elles s’apparentent davantage à la physique, et ne se réduisent pas à la statistique, mais ne sauraient s’en passer pour autant.