Au fil des lectures : collé 0/10
novembre 2017
« L’économie : il y a peu de sujet sur lequel on se soit plus donné carrière pour déraisonner » (traité 1ère ed.)
« Paradise papers » et enfer intellectuel
La plus grande confusion intellectuelle semble diriger la fameuse enquête « Paradise Papers » dont « le Monde » se fait le relai en France. Partant de la posture morale, toujours la plus confortable et la moins contestable, cette enquête dessert pourtant la cause qu’elle semble vouloir défendre : le pauvre contre le riche, l’honnête contre le fraudeur. Car, d’abord, à l’origine de l’information, il y a un vol. Un vol de données nominatives, qui est une faute morale et une faute pénale, mais qui n’interpelle nullement ceux qui jugent en se prévalant d’une compétence d’enquêteurs qui aurait pu s’exercer avant ou sans cette rapine.
Mais peu importe, c’est la confusion économique qui sous-tend cette enquête qui doit être relevée ici :
1) Confusion entre optimisation fiscale et fraude fiscale : l’optimisation fiscale consiste à appliquer la loi et les règlements dans leur intégrité, leur totalité, permettant de réduire la charge fiscale qui pèse sur les acteurs économiques. Lequel d’entre eux ne le ferait pas ?
Par exemple, quel journaliste ne déduirait pas ses frais de garde d’enfants ou de soutien scolaire ? Il s’agit pourtant d’optimisation fiscale aussi.
À la différence de la fraude fiscale, qui serait par exemple de ne pas déclarer une « pige » payée en nature par un week-end dans un grand hôtel. Évidemment, les optimisations pour les contribuables ayant des activités internationales se réalisent dans un univers juridique complexe et sur des dimensions qu’il faut rapporter à celles des opérations menées par ce type d’agent économique que sont les entreprises ou les très grandes fortunes. Mais cet univers juridique résulte bien de l’expression de souverainetés nationales ou collectives quand l’Europe est concernée. L’Irlande a été maintenue dans l’euro en dépit de la crise financière de 2011 grâce aux institutions européennes qui n’ont pas exigé en contrepartie qu’elle monte son taux d’impôt sur les sociétés -le plus bas d’Europe- qui est son principal avantage compétitif et qui permet aux grandes multinationales américaines de bénéficier d’une charge fiscale très réduite.
L’optimisation n’est rien d’autre que l’exercice rationnel de son droit à ne payer que l’impôt strictement exigible et pas davantage. C’est bien davantage les États, développant le maquis fiscal et une concurrence proportionnelle à leur impécuniosité qui méritent d’être « épinglés » et non les contribuables qui exercent leurs droits. Car ces droits sont d’ailleurs contenus par le concept « d’abus de droit », genre d’oxymore, qui permet de qualifier en fraude un montage ayant pour seul objet de se soustraire à l’impôt.
Mais au-delà d’un droit, contenu et contrôlé donc, c’est aussi un devoir : n’importe quelle entreprise a pour devoir de minimiser ses charges, celle de l’impôt comme les autres pour lui permettre de survivre et de financer ses investissements. Une entreprise qui négligerait une solution lui permettant de réduire ses frais serait coupable de mauvaise gestion.
2) Confusion entre les « coupables » : le meilleur et le plus efficace des optimiseurs fiscaux reste l’État ; si les agents économiques cherchent à réduire leurs charges, ils n’égalent pas le talent de l’État à maximiser ses recettes. Un exemple récent a été donné par la fameuse taxe sur les dividendes des entreprises, connue et jugée pour être inconstitutionnelle, qui a été maintenue au titre des recettes ordinaires pendant trois ans.
Aucun jugement moral, ni pénal, sur la cavalerie qui consiste pour l’État à dépenser à chaque exercice presque 30% de plus que ses recettes depuis 40 ans par la création et l’accumulation d’une dette sans cesse croissante. Elle finance pourtant l’insuffisant effort de notre pays à produire autant qu’il consomme et qui restera à la charge des générations futures. Celles-ci seront légitimes à penser qu’au-delà de l’optimisation il se sera bien agi d’une fraude, d’un vol, à leurs dépens.
Car l’optimisation fiscale comme les déficits accumulés ont pour origine les limites du consentement à l’impôt. Si celui-ci était complet, les gouvernements feraient voter des budgets équilibrés par des recettes supplémentaires. S’ils ne le font pas, c’est bien qu’ils reconnaissent les limites de ce consentement en optimisant les recettes par l’endettement.
Ces « Paradise Papers » démontrent l’inorganisation internationale de la fiscalité et la concurrence fiscale qui conduit rationnellement les agents à contenir leur consentement à des prélèvements toujours croissants. Il est erroné de confondre optimisation et fraude et de laisser penser que celle-ci ne serait que le fait de plus grands ; la fraude est consubstantielle à l’impôt et témoigne de la résistance de l’individu face à l’État, dès lors que celui-ci ne semble pas honorer par la pertinence de ses dépenses la confiance donnée par ses administrés. Elle est évidemment condamnable en droit et en morale.
Mais en morale ces « Paradise Papers » semblent bien dessiner le « Big Brother » qui vient : une fausse vérité proclamée au nom de la vertu et condamnant, sans réflexion ni procès, sur la base de données individuelles et nominatives volées.